Le 17 mai, au cours d’une interview accordée à RFI et France 24, le président du Rwanda, Paul Kagame, est interrogé notamment sur la possibilité de voir un jour des militaires rwandais répondre des crimes commis en RDC et documentés dans le rapport Mapping et autres rapports de l’Onu. Sa réponse soulève une vague d'indignation en RDC, poussant le président congolais, Félix Tshisekedi, à réagir pour rassurer la population. Comment comprendre cette chaîne de réactions dans le pays ?
Bonjour !
Je m’appelle Trésor Kibangula et je suis analyste politique au sein du Groupe d’étude sur le Congo, centre de recherche basé à l’Université de New York. Vous écoutez le 14e numéro de Po Na GEC, notre capsule audio qui tente d’éclairer les questions d'actualité en RDC.
Nous sommes le vendredi 21 mai.
Des bouts de phrases auront suffi pour enflammer la toile congolaise et susciter l’émoi en RDC. Dans sa réponse à RFI et France 24, le président rwandais estime que le rapport mapping est « hautement politisé », que Dr Denis Mukwege, gynécologue congolais et prix Nobel de la paix 2018,  est devenu « un outil de ces forces qu’on ne voit pas ». Plus polémique, dans la même interview, Paul Kagame remet en question l’existence même des crimes commis par les troupes rwandaises en RDC. « il n’y a pas eu de crimes, que ce soit par des personnes évoquées ou des pays cités », conclut-il.
La réaction ne s’est pas fait attendre : activistes, politiciens, défenseurs des droits de l’homme, et plusieurs autres personnalités montent au créneau et condamnent ce qu’ils qualifient de « négationnisme ». Certains, y compris des diplomates européens, se contentent de réaffirmer leur soutien public au Dr Mukwege. D’autres exigent une forte réaction du gouvernement congolais et menacent de manifester si rien n’est fait. Et les explications de Vincent Biruta, ministre rwandais des affaires étrangères, n'auront pas su mettre fin à la controverse. La situation est d’autant plus embarrassante que, dans la même journée, Félix Tshisekedi, qui préside cette année l’Union africaine, s'est affiché, détendu, aux côtés de son “frère”, comme il l’appelle, Paul Kagame à Paris.
Plusieurs raisons expliquent l’indignation en RDC. D’abord, l’histoire récente des conflits violents dans l’Est et le rôle trouble que le Rwanda y a souvent joué. Ce pays a aidé à porter au pouvoir, le 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila à l’issue d’une campagne militaire victorieuse. Le Rwanda s’est ensuite retourné contre Laurent-Désiré Kabila et a depuis soutenu plusieurs rébellions et groupes armés responsables de nombreuses tueries: le RCD, le CNDP, le M23. Alors, le Rwanda, et Paul Kagame, son président, sont donc perçus comme à l’origine des violences qui ont déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes en RDC.
Il y a ensuite la fierté nationale d’un passé idéalisé d’un grand Congo, Zaïre à l’époque. Le temps où le Congo dominait la politique et l’économie régionale. Ainsi, des images du maréchal Mobutu recevant Paul Kagame, alors chef rebelle, ou encore celles de Joseph Kabila fustigeant le rôle du Rwanda ont été ressorties et partagées sur les réseaux sociaux.
Enfin, et c’est peut-ĂŞtre la plus importante raison de cette indignation des Congolais, le dĂ©sir de justice pour les crimes commis depuis les annĂ©es 90 par les diffĂ©rents belligĂ©rants, le Rwanda compris. Mais cette question de justice, qui est devenue centrale au combat de Dr Mukwege, peine encore Ă ĂŞtre adressĂ©e. Dans sa rĂ©action Ă la controverse, FĂ©lix Tshisekedi a dĂ©clarĂ© que pour lui, la prioritĂ©, c’est de « ramener la paix dans l’est du pays, de mettre fin au cycle de la mort de nos compatriotes et après aussi d’ouvrir une page de justice qui ira dans tous les sens, transitionnelle ou pĂ©nale ».Â
Comme l’aura appris son prédécesseur, Joseph Kabila, l’impunité ne saurait être un gage pour la paix. Bien au contraire. D’autant qu’une paix durable ne découlerait que d’un processus de justice pour les crimes commis. L'idée de création des chambres spécialisées mixtes avait éclos en 2010 mais sans jamais aboutir à une loi. Depuis, plus rien.
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