Le 15 mars, une délégation de militaires Rwandais a discrètement débarqué à l’aéroport de Ndjili, à Kinshasa. Elle était conduite par le général Jean-Bosco Kazura, chef d’Etat-major général de l’armée rwandaise, pour négocier les contours d’une nouvelle coopération militaire dans l’Est de la RDC.
Nous sommes le vendredi 26 mars et vous écoutez le 7e numéro de Po na GEC, une capsule audio du Groupe d’études sur le Congo de l’Université de New-York, qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, le coordonateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, et cette semaine nous allons parler de cette nouvelle tentative de passer des accords militaires avec des pays voisins de la RDC.
Ce n’est pas la première, depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. En septembre 2019, déjà, le président avait voulu mettre en place un état-major conjoint des armées de la région des grands lacs pour planifier des opérations communes dans l’Est de la RDC. Mais le projet avait échoué : les relations entre ces pays voisins étaient trop tendues et de nombreux congolais y étaient opposés. Parmi eux, on trouvait notamment l’ancien président, Joseph Kabila, alors encore influent.
Cela n’a pas empêché la coopération de se poursuivre discrètement, notamment avec le Rwanda. A plusieurs reprises, des soldats rwandais sont entrés secrètement en RDC, avec l’autorisation des autorités congolaises, pour mener des opérations ciblées contre certains groupes rebelles rwandais.
Ces incursions ont été relevées par le Baromètre sécuritaire du Kivu et plusieurs médias. Mais aussi – et c’est plus important – par le Groupe d’expert des Nations unies pour la RDC dans son rapport de décembre dernier. Légalement, les autorités rwandaises et congolaises auraient en effet dû déclarer ces opérations au conseil de sécurité des Nations-Unies, ce qui n’a pas été fait.
Mais depuis le début de cette année, les échanges entre les services de sécurité Congolais et Rwandais semblent s’intensifier : la rencontre de ce mois de mars, à Kinshasa, est déjà la troisième. A Kigali, en février, François Beya, le conseiller spécial en matière de sécurité du président, avait notamment justifié ce rapprochement ainsi : « nous sommes venus ici pour défier le monde entier, en particulier l’occident, qui ne veut pas que nous parlions et travaillons ensemble ».
Selon certains comptes rendus de la dernière rencontre, à Kinshasa la semaine dernière, il s’agissait d’élaborer un plan opérationnel pour mener des actions conjointes, notamment contre les FDLR, le CNRD, les RUD et l’ex-M23.
L’inclusion du M23 est intéressante : elle semble montrer la bonne volonté de Kigali, qui avait, jadis, soutenu cette rébellion.
Alors, est-ce la solution aux problèmes de l’Est de la RDC ? Pour Félix Tshisekedi, il sera difficile de les résoudre sans la coopération des voisins, c’est certain. Mais la coopération avec le Rwanda, telle qu’elle semble se dessiner, présente plusieurs risques.
D’abord, celui d’être très impopulaire en RDC. Cela pourrait inciter les autorités à la cacher, et en cacher dans le même temps les éventuels abus, qui resteraient impunis. En 2009, l’opération conjointe des armées congolaises et rwandaises Umoja Wetu avaient certes affaibli certains groupes armés, mais elle avait aussi provoqué une crise politique à Kinshasa et des violations des droits humains.
Ensuite, elle semble être principalement militaire. Pour y faire face, les groupes armés pourraient se mobiliser davantage et finir par générer plus de violences.
Enfin, elle semble exclure les autres voisins de la RDC. L’Ouganda et le Burundi, qui entretiennent des relations tendues avec Kigali, pourraient craindre de perdre le contrôle de leur zone frontalière, et intervenir également, directement ou indirectement, provoquant davantage de violences.
En conclusion, il est possible que la coopération militaire entre le Rwanda et la RDC donne des résultats à court terme, en affaiblissant certains groupes. Mais aucune solution de long terme ne pourra être trouvée si l’armée congolaise n’est pas capable, elle-même, de sécuriser son territoire. Cela suppose qu’elle soit bien organisée, payée, équipée, et aussi qu’elle soit incorruptible, impartiale et redevable devant les citoyens congolais. Le chantier est vaste. Mais il est incontournable pour atteindre une paix durable dans l’Est de la RDC.
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