Punch Sa 6 Ep 3 | L'humain dans les affres du numérique | Lauriane Paulhiac, Véronique Guisen et François Lambert-Limbosch

Il y a quelque temps, interroger la digitalisation du monde était une question spéculative: on tentait d’imaginer la forme qu’elle pourrait prendre, et ses éventuelles conséquences. Quand le groupe PUNCH a commencé à s’intéresser aux changements que la numérisation allait produire dans la société, cela relevait d’un travail sur toute une série de « nouvelles pratiques ». Aujourd’hui, apès deux ans passés sous Covid, il nous semble qu’il était temps de faire une sorte de retour d’expérience. D’une part parce que le numérique est dans notre quotidien. Non plus une étrange et mystérieuse promesse, mais un élément banal. La présence du numérique n’a plus rien d’étonnant, c’est au contraire lorsqu’on se retrouve « sans réseau » que la situation paraît exceptionnelle. Pour en débattre, Jean Blairon – Expert RTA asbl est entouré par Luc Malghem – Centre Librex, Nadid Bellatik – Gsara, Jennifer Nielz – Fesefa et Geoffroy Carly – CEMEA.

En récoltant nos données, en traçant nos habitudes et pratiques culturelles, le numérique rend possible un contrôle des usages. Il est toujours possible de ne pas dramatiser et de ne pas virer dans la parano. Mais comment cette technologie de contrôle s’épanouit-elle, là où rien ne la contredit, dans l’univers carcéral ? En quoi ce qui s’expérimente dans l’enfermement pourrait-il « passer le mur » et envahir la société civile sous des formes mainstream (ou pas) ?Christophe Mincke, docteur en droit, Université Saint-Louis (Bruxelles)

Equiper et affilier le maximum de citoyen.nes aux usages dominants du numérique, tels étaient les idéaux visant à réduire la fracture numérique. Mais cette dernière s’avère plus diversifiée et complexe qu’on ne le croit, recouvrant une pluralité d’autres fractures sociales et culturelles. Cela se traduit dans des interfaces administratives, par exemple, développées sans aucune concertation avec leurs destinataires. La crise du Covid-19, le confinement et la montée en puissance du « distanciel » et « virtuel » ont accentué ces fractures. Le point avec des acteurs et actrices de terrain en éducation permanente (EPN)Avec Lauriane Paulhiac (CABAN, collectif des acteurs bruxellois de l’accessibilité numérique) ; Véronique Guisen (EPN à Anderlecht), Renaud Ziegler (EPN à Evere), François Limbert-Limbosch (Echevin de l’action sociale et des nouvelles technologies à Uccle)

Pour relativiser l’injonction à la rapidité du numérique, il est replacé dans l’histoire longue de l’écriture. Que nous apprennent, sur l’émergence actuelle de nouvelles écritures, les façons dont l’humain a inventé les premiers signes, les premiers langages ? Quels changements dans la relation entre les choses et les mots, le vécu et son expression écrite ? Si une façon d’écrire et la codification d’une langue sont associées à une forme précise d’imaginaire, comment caractériser l’impact du numérique ?Clarisse Herrenschmidt, archéologue, historienne, philologue et linguiste. Autrice de « Les trois langues. Langue, nombre, codes » Gallimard, 2007

Y a-t-il un réel choix technologique ? Est-il encore possible d’imaginer un numérique « humain et critique » ? Les alternatives aux GAFAM sont-elles porteuses de réels possibles ou ne font-elles que renforcer la tendance dominante ? La seule solution est-elle de « se débrancher » ? La séance fait le point avec un débat entre Nicolas Alep, co-auteur avec Julia Laïnae de « Contre l’alternumérique » (Editions La Lenteur) et Jean-Luc Manise (Cesep, membre du collectif PUNCH). Les échanges sont animés par Maxime Verbesselt (association ACMJ)

Le grand jeu des biais. Une croyance prédomine selon laquelle toute technologie est neutre par nature. De ce fait, le résultat de recherches par algorithme est considéré comme optimal, objectif, impartial. Mais un algorithme est déterminé par les éléments de la formule qui définit ce qu’il va aller chercher. Plusieurs études récentes ont démontré différents biais récurrents des algorithmes actifs sur les plateformes numériques. Ce sont en fait des « boîtes noires » à l’origine de biais « genrés », biais racistes… C’est quoi un « biais » ? D’où ça vient ? Comment s’en prémunir ?Peggy Pierrot, activiste, journaliste et développeuse. Elle enseigne la théorie des médias et de la communication à l’Erg.

Quelle place le numérique prend-il dans les processus migratoires ? Au fil des déplacements et de la dispersion des familles et groupes sociaux, il permet une co-présence transnationale, de garder des liens à distance, donne lieu à ce que l’on pourrait appeler « e-diaspora ». L’occasion aussi de se pencher sur ce que signifie la « technomigration » étudiée au Cameroun et au Congo comme forme nouvelle de déplacements de populations.Mihaela Nedelcu, institut de sociologie de NeuchâtelBrice Arsim Mankou, sociologue à l’université de BrazzavilleDébat animé par Renaud Maes, rédacteur en chef de Revue Nouvelle

Dans le souci d’échapper à l’opposition binaire entre technophilie et technophobie, PUNCH organise des confrontations d’idées d’où pourraient émerger une troisième voie. Après quatre saisons, le besoin s’est fait sentir de faire le point sur « pour ou contre les algorithmes » et comment aller plus loin que ce « pour ou contre » ? Pour ce faire, un dialogue a été organisé entre Antionette Rouvroy, théoricienne de la gouvernementalité algorithmique et Hugues Bersini, professeur en ingénierie de l’informatique à l’ULB, partisan d’un usage éclairé des algorithmes. La conversation est animée par Pierre Lorquet (La Maison du Livre)

Les moteurs de recherche mis à notre disposition sont magiques. C’est incroyable ce qu’ils trouvent et en un temps record. Quel est l’envers du décor ? Comment se construit cette automation de la plateformisation ? Les machines ont besoin du digital labor aujourd’hui pour apprendre à s’en passer demain. Sans prolétaires du clic, pas de machines autonomes efficaces pour remplacer le travail humain. La disparition du travail n’est pas une conséquence inévitable de l’automation ni la conséquence surdéterminée du développement technologique, mais il est l’issue de l’aménagement des luttes sociales qui l’entourent.Antonio Casilli, sociologue, maître de conférences en humanités numériques à Télécom ParisTech et chercheur au Centre Edgar-Morin de l’EHESS.

La présence croissante d’objets techniques numériques dans le champ de l’action sociale offre l’occasion de renouveler certaines interrogations sur les objectifs assignés à cette branche de l’action publique. Ces objets s’adaptent-ils à l’action sociale ou viennent-ils la coloniser ? Déjà, ils contribuent à limiter le nombre d’espaces réservés à l’accueil présentiel. Ensuite, ils sont rarement conçus en partant du besoin des usagers. Enquête dans le cadre du vaste projet Plaine Commune (Grand Paris), auprès du public de quatre « Maisons de l’emploi ».Yann Rischette : philosophe, a participé à l’enquête de terrain (Plaine Commune, Maisons de l’emploi)