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    histoire sociale

    Explore "histoire sociale" with insightful episodes like "Faire mouvement(s) en économie sociale", "Les jardins collectifs : un terreau fertile pour la culture du social et de la démocratie", "Episode 64, "25 ans d'Urbex en France", Timothy Hannem", "Aliénor Wagner-Coubès, doctorante en histoire sociale et guide conférencière" and "Épisode 34 – Claire et les femmes dans les révoltes au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)" from podcasts like ""Les Promesses de l'Aube", "Les Promesses de l'Aube", "Quoi de neuf en Histoire ?", "Vous êtes formidables - Auvergne-Rhône-Alpes" and "Passion Modernistes"" and more!

    Episodes (16)

    Faire mouvement(s) en économie sociale

    Faire mouvement(s) en économie sociale

    Ce mercredi matin nous aurons le plaisir de recevoir François Welter (CARHOP) et Pierre Georis (ancien secrétaire général du MOC) pour nous parler l'histoire de l'économie sociale et du mouvement coopératif en Belgique, et en particulier, sa place au sein du Mouvement Ouvrier Chrétien. Il sera également question des convergences entre les différentes formes d'économie sociale et des différents obstacles rencontrés. 

     

    Les jardins collectifs : un terreau fertile pour la culture du social et de la démocratie

    Les jardins collectifs : un terreau fertile pour la culture du social et de la démocratie

    Mercredi 20 décembre, nous serons en compagnie du CARHOP pour parler des jardins collectifs.

    Le CARHOP c'est le Centre d’Animation et de Recherche en Histoire Ouvrière et Populaire. Iels publient la Revue Dynamique, une revue d'histoire sociale permettant de comprendre les enjeux du présent à l'aune du passé. Leur dernier numéro est consacré aux Jardins Collectifs, terreau fertile pour la culture du social et de la démocratie.

    Pour en parler nous recevrons Claudine Liénard (bénévole, CARHOP et auparavant coordinatrice de projets, Université des Femmes) et Isabelle Sirjacobs (directrice scientifique, SAICOM).

     

    Playlist:

    Dream Baby Dream - Bruce Springsteen

    Heaven - Talking Heads

    Ce n'est pas parce qu'il pleut - Guy Marchand

    Le Bonheur - Brigitte Fontaine et Areski

    Si Tu T'en Irais - Les Haricots Rouges

    Manger les Fleurs - Clarika

    One Of A Kind Love Affaire - Kadhja Bonet

    Episode 64, "25 ans d'Urbex en France", Timothy Hannem

    Episode 64, "25 ans d'Urbex en France", Timothy Hannem

    L'urbex, ou exploration urbaine, consiste à visiter en général sans autorisation des lieux abandonnés (usines désaffectées, bâtiments publics inoccupés, maisons et châteaux en ruines) , dans le but le plus souvent de documenter leur état actuel mais aussi leur histoire et celle de leurs occupants. Timothy Hannem, alias Glauque-land, est l'un des pionniers de cette pratique en France, qui a connu un rapid essor dans les années 2000 grâce aux réseaux sociaux. Dans un beau livre, il rend compte de ses visites les plus marquantes et s'attache à imaginer la vie de celles et ceux qui ont jadis déambulé ou vécu dans ces lieux.

    Aliénor Wagner-Coubès, doctorante en histoire sociale et guide conférencière

    Aliénor Wagner-Coubès, doctorante en histoire sociale et guide conférencière

    Nous allons vivre une exploration vertigineuse  : celle du quartier gratte-ciel à Villeurbanne. Un ensemble architectural construit à la fin des années 20 jusqu’au milieu des années 30 que va nous présenter Aliénor Wagner.  Doctorante en histoire sociale et guide conférencière, elle a exploré l’histoire de ce quartier depuis plusieurs années et elle va partager avec nous ce qu’elle raconte lors de ses visites !  

    H comme Histoire : raconter l'histoire de la ville avec Loïc Vadelorge

    H comme Histoire : raconter l'histoire de la ville avec Loïc Vadelorge

    Merci à Loïc Vadelorge, Professeur d'histoire contemporaine, Université Gustave Eiffel. Responsable scientifique du Labex Futurs urbains. Son travail de recherche s'inscrit résolument dans le champ très large de l’histoire urbaine du monde contemporain.

    - Les livres de Loïc Vadelorge : bibilographie

    - Une rencension complète de ses travaux 


    La vie quotidienne sous le nazisme, avec Elissa Mailänder

    La vie quotidienne sous le nazisme, avec Elissa Mailänder

    “Le déclassement, l’exclusion et le meurtre des uns, reposaient sur la valorisation et la promotion des autres”. Dans cet épisode, Elissa Mailänder, associate professor au Centre d’histoire de Sciences Po, raconte le nazisme au prisme de l’histoire du genre. Elle revient sur la vie quotidienne des personnes vivant en Allemagne et en Autriche pendant le nazisme, des années 1930 aux années 1950, et explique pourquoi certaines personnes s’en souviennent comme la plus belle période de leur vie.


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    Lire la transcription écrite de l’épisode. 


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    📚 Ressources

    • Le livre d’Elissa Mailänder : Amour, mariage, sexualité. Une histoire intime du nazisme (1930-1950) (Seuil, 2021)

    • Une traduction en français de texte de Raewyn Connell : Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie. (Éditions Amsterdam, 2014)


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    Genre etc. est le podcast du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po.


    Musique originale : © Lune 

    La diagonale de la rage avec Michel Kokoreff

    La diagonale de la rage avec Michel Kokoreff

    - La diagonale de la rage, Editions Divergentes 

    Michel KOKOREFF est un sociologue français né le 11 avril 1959. Il est professeur à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Spécialiste des banlieues, de l’usage et du trafic des drogues et des formes de militantisme dans les quartiers populaires, il s’intéresse à la sociologie urbaine, la sociologie de la déviance, mais aussi à l’analyse des politiques publiques et des mutations sociales. Il intervient régulièrement dans les médias et est l’auteur de nombreux ouvrages dont Refaire la cité (avec Didier Lapeyronnie) aux éditions du Seuil ou Violences policières, généalogie d’une violence d’Etat aux éditions Textuel.  

    Épisode 20 – Philippine et la puberté au siècle des Lumières (Passion Modernistes)

    Épisode 20 – Philippine et la puberté au siècle des Lumières (Passion Modernistes)

    Comment était conçue la puberté à l’époque moderne, que ce soit du point de vue médical ou social ?

    Passion Modernistes

    Portrait Philippine Valois au micro de Passion Modernistes
    Portrait Philippine Valois au micro de Passion Modernistes

    Philippine Valois travaille sur l’histoire médicale de la puberté au siècle des Lumières (XVIIIème siècle) dans sa thèse dirigée par Didier Boisson et co-encadrée par Nahema Hanafi au sein du Laboratoire TEMOS Angers. Dans cet épisode, elle raconte ce qui l’a motivé à travailler sur ce sujet et nous explique l’histoire de ce concept si particulier, du point de vue médical et social.

    Dans sa thèse, Philippine Valois veut comprendre comment les phénomènes physiologiques et biologiques de la puberté ont été compris par les médecins du XVIIIème, quels termes ils utilisent et quels imaginaires ils convoquent. Elle s’interroge aussi sur les incidences des représentations médicales, les maladies spécifiques, sur le quotidien des personnes pubères à cette époque ou encore les représentations sociales.

    Une définition compliquée de la puberté

    Annexe : Louis Binet (1744-1800), Les six âges de la fille. 1er âge, 1780-1782, Paris, Duchesne, taille douce, format inconnu. Bibliothèque nationale de France [en ligne]. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b22001458/f73.item.r=Quatre%20%C3%A2ges%20de%20la%20vie
    Annexe : Louis Binet (1744-1800), Les six âges de la fille. 1er âge, 1780-1782, Paris, Duchesne, taille douce, format inconnu. Bibliothèque nationale de France [en ligne].
    Le concept de puberté est en plein de construction à l’époque des Lumières. A noter que le concept d’adolescence tel que nous le concevons aujourd’hui ne naît qu’au XIXème siècle. Il y a une forte ambiguïté des auteurs sur les mots entre puberté, adolescence et nubilité, parfois utilisés comme synonymes ou contraires. Philippine Valois montre qu’en général pour les médecins du XVIIIème siècle, l’adolescence désigne une période de la vie et la puberté les phénomènes biologiques, même si pas toujours, avec des différences selon le sexe.

    En général, la puberté est définie comme une crise à la fois positive et négative. La transformation pubertaire est sensée soigner certains maux de l’enfance comme l’épilepsie, l’échauffement créé par la puberté pouvant, toujours selon les médecins du XVIIIème siècle, guérir certaines maladies. Mais c’est aussi une crise négative avec son lot de nouvelles maladies, car la puberté « trouble l’âme et le corps« , on commence à dire que l’adolescent éprouve du mal-être. Les médecins utilisent des termes parfois poétiques, comme « orage« , « tempête » ou même « révolution« , parce que l’on passe d’un enfant asexué à un être sexué.

    Le contexte des Lumières

    Toute cette vision de la puberté s’inscrit dans le mouvement des Lumières, un mouvement à la fois culturel et philosophique, une période où l’éducation des enfants devient un sujet prioritaire. L’Émile de Rousseau est notamment une référence pour les médecins de l’époque, dont le chapitre 4 est consacré à l’adolescence. C’est aussi un contexte de « dégénérescence de l’espèce humaine« , formulée entre autres par Buffon en 1766 : pour lui, on pourrait expliquer toutes les variations entre les individus par une dégénération d’une espèce originelle. Une vision bien sûr profondément raciste, et les médecins ont dans ce sens un discours alarmant sur les problèmes démographiques et la faiblesses des enfants.

    Et à la fin du XVIIIème siècle, les débuts du mouvement hygiéniste dénoncent le mode de vie oisif des élites socio-culturelles. Il est par exemple constaté que les jeunes filles qui vivent dans ces milieux fastes étaient réglées plus précocement ou ont des problèmes de menstruations.

    Et dans le reste de l’épisode…

    Dans le reste de l’épisode, on parle notamment des différences entre les hommes et les femmes, de la vision de la masturbation, des maladies propres à la puberté, du contrôle des corps adolescents par les médecins et la société, et de comment Philippine Valois travaille sur ses sources pour sa thèse.

     

    Nicolas Lancret, L’Adolescence, 1707-1708, Paris, N. De Larmessin, estampe. Bibliothèque Nationale de France. [en ligne]. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84087496.r=adolescence?rk=85837;2
    Nicolas Lancret, L’Adolescence, 1707-1708, Paris, N. De Larmessin, estampe. Bibliothèque Nationale de France. [en ligne].

    Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

    • Michel Bernos, Yvonne Knibiehler, Elisabeth Ravoux-Rallo et Eliane Richard, De la pucelle à la minette : les jeunes filles, de l’âge classique à nos jours, Paris, Temps actuels, 1983
    • Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Emmanuelle Berthiaud, Le rose et le bleu, Paris, Belin, 2016
    •  Patrice Huerre, Martine Pagan-Reymond et Jean-Michel Reymond, L’adolescence n’existe pas, Paris, O. Jacob, 1997
    •  Thomas Laqueur, Le sexe en solitaire, Paris, Gallimard, 2005
    • Agnès Thiercé, Histoire de l’adolescence, Paris, Belin, 1999.
    • Juan Jiménez-Salcedo, « L’hygiénisme au XVIIIe siècle et l’éducation des jeunes filles », in Bernard Bodinier, Martine Gest, Paul Pasteur et Marie-Françoise Lemmonier-Delpy (dir.), Genre & Éducation : Former, se former, être formée au féminin, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. « Éducation », 2018, pp. 141-152.
    • Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2010, no 31, pp. 207-238.
    • Gabrielle HOUBRE, Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, edi8, 2010, 189 p.

    Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

    Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

    Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).

    Épisode 19 – Laura et les malades dans la peinture néerlandaise du XVIIème siècle (Passion Modernistes)

    Épisode 19 – Laura et les malades dans la peinture néerlandaise du XVIIème siècle (Passion Modernistes)

    Comment les malades étaient représentés dans la peinture néerlandaise du XVIIème siècle ?

    Passion Modernistes

    Portrait Laura Pennanec'h
    Portrait Laura Pennanec’h

    Dans cet épisode Laura Pennanec’h vous parle de représentations des maladies, de la peinture néerlandaise du XVIIème siècle et de l’histoire du genre. Depuis 2017 elle prépare une thèse sur le sujet « Réseaux de savoirs genrés autour du corps malade dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle » au Centre Alexandre-Koyré (EHESS), sous la direction de Christian Jacob et Rafael Mandressi.

    A partir d’une centaines de tableaux, elle étudie comment des peintres nés ou formés à Leyde qui a vu se développer une école de peintres, « les peintres précieux« , qui ont beaucoup représentés les malades et les médecins. Parmi ses peintres, elle étudie notamment Gérar Dou, Frans van Mieris l’Ancien et Jan Steen.

    Une représentation genrée de la maladie

    Gerard Dou (Leyde, 1613 – Leyde, 1675), La femme hydropique, (De waterzuchtige vrouw), 1663, huile sur panneau de bois, (86 cm x 68 cm), Paris, Musée du Louvre.
    Gerard Dou (Leyde, 1613 – Leyde, 1675), La femme hydropique, (De waterzuchtige vrouw), 1663, huile sur panneau de bois, (86 cm x 68 cm), Paris, Musée du Louvre.

    La thèse de Laura Pennanec’h entend mettre en lumière les réseaux de savoirs genrés enserrant les corps malades tels qu’ils furent dépeints dans la Hollande du XVIIe siècle. Cela permet d’établir d’abord une histoire des corps malades tels qu’ils ont été peints à l’époque en prenant pour entrée les variations iconographiques produites par le sexe des malades représentés.

    Il s’agit également de faire une histoire de l’insertion des tableaux dans un territoire donné, une histoire des circulations des motifs et des thèmes iconographiques entre les images et entre les peintres afin d’étudier ce que ces circulations disent de la culture visuelle des artistes, de leurs relations personnelles, de leurs sociabilités.

    Comparer avec l’histoire des sciences

    Parallèlement, l’utilisation d’un corpus textuel (médical comme artistique) permet de resituer les tableaux par rapport aux discours écrits sur la maladie, sur les relations entre hommes et femmes, sur les modalités de figuration des corps. Si elles ne sont pas prises pour centre, les intentions des acteurs — peintres, médecins — sont néanmoins intégrées dans un raisonnement qui souligne l’importance du cadre personnel, social et intellectuel dans lequel ils évoluaient, donnant à voir, d’une certaine manière, une sociologie rétrospective de ce qui existait à l’époque.

    En ce sens, Laura multiplie les échelles d’analyse, en se concentrant tour à tour sur les lieux (faculté de médecine, maison particulière, atelier de peintre), les individus (peintres, médecins, chirurgiens, malades), les objets et les pratiques (visite médicale, saignée, pose de ventouses, observation des urines).

    Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, Laura vous conseille de lire :

    Frans van Mieris l'Ancien (Leyde, 1635 – Leyde, 1681), La visite du médecin ou La malade d’amour (Het bezoek van de arts of De zieke vrouw), 1657, huile sur cuivre, (34 cm x 27 cm), Vienne, Kunsthistorisches Museum.
    Frans van Mieris l’Ancien (Leyde, 1635 – Leyde, 1681), La visite du médecin ou La malade d’amour (Het bezoek van de arts of De zieke vrouw), 1657, huile sur cuivre, (34 cm x 27 cm), Vienne, Kunsthistorisches Museum.

    Sur la peinture néerlandaise du xviie siècle :Une synthèse dense mais efficace :

    • Haak, Bob. The Golden Age: Dutch Painters of the Seventeenth Century. Londres: Thames and Hudson, 1984.

    Une référence plus récente qui permet de repenser la notion de « siècle d’or » :

    • Blanc, Jan. Le siècle d’or hollandais : une révolte culturelle au XVIIe siècle. Paris, France: Citadelles & Mazenod, 2019.

    Sur la médecine et les savoirs sur le corps au xviie siècle :

    Un manuel à destination d’étudiants en histoire de la médecine (et avec une visite du médecin de Jacob Toorenvliet, peinte en 1666, en première de couverture !) :

    • Elmer, Peter, éd. The Healing Arts: Health, Disease and Society in Europe, 1500-1800. Manchester: Manchester University Press, 2004.

    Un ouvrage sur la circulation des savoirs dans les Provinces-Unies :

    • Cook, Harold J. Matters of Exchange: Commerce, Medicine, and Science in the Dutch Golden Age. New Haven: Yale University Press, 2007.
    2.Le frontispice de la Genees-Oeffening de Paul Barbette, graveur anonyme, vers 1670.
    Le frontispice de la Genees-Oeffening de Paul Barbette, graveur anonyme, vers 1670.

    Sur les femmes dans la peinture néerlandaise du xviie siècle :

    Un ouvrage synthétique :

    • Franits, Wayne E. Paragons of Virtue: Women and Domesticity in Seventeenth-Century Dutch Art. Cambridge: Cambridge University Press, 1993.

    LE texte de référence sur les représentations de femmes malades :

    • Dixon, Laurinda S. Perilous Chastity: Women and Illness in pre-Enlightenment Art and Medicine. Ithaca: Cornell University Press, 1995.

     

    Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

    Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

    Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).

    Épisode 9 – Elise et les chasseurs du Mississippi (Passion Modernistes)

    Épisode 9 – Elise et les chasseurs du Mississippi (Passion Modernistes)

    Comment chassaient les chasseurs dans la vallée du Mississippi aux XVIIème et XVIIIème siècle ?

    Passion Modernistes

    Elise Retoré au micro de Passion Modernistes
    Elise Retoré au micro de Passion Modernistes

    En septembre 2018 Elise Retoré a soutenu un mémoire sur le sujet « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 –1770): Acteurs, pratiques et territoires« , sous la direction de Gilles Havard à l’École des Hautes Études en sciences sociales.

    Dans son mémoire elle a interrogé l’enjeu de l’entrée de la chasse pour mieux comprendre la société coloniale louisianaise et plus généralement l’histoire de l’espace mississippien au XVIIIème. Elle s’est aussi intéressée aux modalités d’interactions entre les différents acteurs participant via cette activité : les colons, les Amérindiens et les esclaves africains, en essayant à l’intérieur de ces groupes de distinguer les pratiques masculines mais aussi féminines.

    A travers ses recherches Elise Retoré a tenté de proposer une histoire totale de la chasse en Louisiane française et d’envisager la pratique cynégétique du point de vue tant social et culturel, qu’économique et politique, et de l’étudier à différentes échelles.

    Aussi, son mémoire a été pensé dans la continuité des recherches et des idées de son directeur de recherche (elle a trouvé son sujet dans son ouvrage Histoire des Coureurs de Bois, paru en 2016) mais elle a tenté d’innover en intégrant à sa réflexion l’histoire environnementale, notamment aux rapports entre hommes et animaux. Elle a d’ailleurs choisi de considérer ces derniers comme des acteurs historiques à part entière car dotés d’une agentivité.

    Carte de la Louisiane et du cours du Mississippi, dressée à partir d'un grand nombre de mémoires, dont ceux de Monsieur Le Maire, par Guillaume de L'Isle de l'Académie royale des sciences
    Carte de la Louisiane et du cours du Mississippi, dressée à partir d’un grand nombre de mémoires, dont ceux de Monsieur Le Maire, par Guillaume de L’Isle de l’Académie royale des sciences
    Pour en savoir plus sur cet épisode Elise vous conseille les lectures suivantes :
    Dans cet épisode vous avez entendu les extraits des chansons suivantes :

    Dans cet épisode on a aussi mentionné le podcast Binouze USA qui parle de bière et de culture louisianaise !

    Transcription de l’épisode 9 (cliquez pour dérouler)

    Fanny : Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen-Moreau, et dans ce podcast je vous propose de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre les années 1500 et 1800.

    Épisode 9, Élise et les chasseurs du Mississippi, c’est parti !

    Après l’épisode sur les origines de New York, il y a 2 épisodes, oui regardez sur vos applis de podcast ou alors sur le site, je propose un nouveau voyage aux Amériques à l’époque moderne, encore aux futurs États-Unis entre le XVIIe et XVIIIe siècle, mais cette fois on va partir dans la vallée du Mississippi.

    Bonjour Élise Rétoré.

    Élise : Bonjour Fanny.

    Fanny : Alors tu as fait un mémoire de master 2 à l’École des hautes études en sciences sociales en septembre 2018 et le titre c’était « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 – 1770) : Acteurs, pratiques et territoires » et tu étais sous la direction de Gilles Havard. Je voudrais déjà te demander, Élise, pourquoi est-ce que tu as voulu étudier l’histoire moderne, qu’est-ce qui t’attirait dans cette période ?

    Élise : Alors je suis rentrée dans l’histoire moderne un petit peu par hasard. J’ai été très attirée par l’histoire de l’Amérique du Nord grâce à un cours que j’ai eu en L2. On avait des cours spécifiques sur certaines aires géographiques, dont un qui était consacré à la colonisation de l’Amérique du Nord, donc les Amériques françaises et les Amériques anglaises, et je me suis un peu prise de passion on va dire, pour tout ce qui concernait les relations franco-amérindiennes. Notamment par le prisme des interactions culturelles, des transferts culturels, et des contacts qui pouvaient s’établir entre colons français et Amérindiens, et plus précisément sur la figure du coureur de bois canadien. Le coureur de bois c’est un commerçant, un marchand qui va à la rencontre des peuples amérindiens pour échanger souvent des objets d’origine européenne contre des fourrures que les Amérindiens préparaient en chassant certains animaux. Donc le coureur de bois était amené à être en contact très souvent, voire permanent [avec les Amérindiens], certains ont même habité chez des peuples amérindiens. Ce qui m’intéressait, c’était cette figure donc à la fois sociale du coureur de bois, cette figure un peu d’entre-deux, un colon mais également très influencé par la culture amérindienne.

    Fanny : Et pourquoi est-ce que tu as choisi le sujet des chasseurs de la vallée du Mississippi ? Qu’est-ce qui t’a amené à ce sujet-là en particulier ?

    Élise : Mon intérêt pour les coureurs de bois canadiens m’a amené à lire l’ouvrage de mon directeur de recherche, Gilles Havard, qui a écrit Histoire des coureurs de bois, dont un des sous-chapitres est consacré aux chasseurs du Mississippi, qui se différenciaient des coureurs de bois, car eux ils traquaient souvent les animaux dont ils récupéraient la viande ou la fourrure, ce qui est différent des coureurs de bois qui souvent ne traquaient pas eux-mêmes les animaux, mais échangeaient surtout les fourrures avec les Amérindiens, car ils étaient intégrés dans la traite de fourrure et tout ce qui était circulation pelletière. Déjà, les chasseurs du Mississippi m’ont intéressée parce qu’ils avaient une culture matérielle un peu plus spécifique que les coureurs de bois, que cela soit des techniques de navigation, ou des objets symboliques comme le fusil, ou des techniques de… enfin tout le savoir-faire qu’il y avait autour des pratiques de chasse, comment on traque un animal, comment le leurrer, voire même comment dresser un chien de chasse, car ils en avaient. Si je me souviens bien, il y avait une note dans ce sous-chapitre qui parlait d’un champ historiographique, du moins en France, à combler sur les chasseurs du Mississippi, car on en parlait souvent dans l’historiographie canadienne ou américaine, mais en France il n’y a pas encore eu d’étude complète sur ses chasseurs du Mississippi.

    Enfin ce qui m’intéressait, aussi c’était la diversité des groupes d’acteurs, car quand on plonge un peu plus, on voit qu’il n’y a pas que des colons français, on a également des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons, ou aussi la chasse pratiquée par les esclaves noirs soit pour leur maître soit pour eux. La chasse pour moi représentait un cadre d’interaction pour plusieurs groupes hétérogènes, qui pouvait amener des transferts culturels, des savoir-faire différents… Voilà, j’en suis arrivé comme ça. [rires]

    Fanny : Avant de s’intéresser précisément à toutes ces personnes, est-ce que tu peux nous resituer un petit peu le contexte historique ? Où est-ce qu’on en est à cette époque-là dans le Mississippi par rapport donc à la colonisation et tout ça ?

    Élise : J’ai pris les bornes chronologiques qui s’étendent des années 1670 jusqu’aux années 1770. Les années 1670, donc la fin du XVIe siècle, cela correspond aux explorations qui sont menées le long du Mississippi, en partant du sud des Grands Lacs, qui correspondent au Canada, de la région du Canada maintenant, où les autorités françaises veulent de plus en plus explorer le territoire pour avoir plus de ressources. Donc ils engagent des explorations qui vont descendre le long du Mississippi, qui sont notamment faites par des missionnaires souvent. Ces expéditions vont traverser ce qui va devenir en réalité la Louisiane française. La Louisiane c’est un territoire qui s’étend du sud de ces Grands Lacs jusqu’au golfe du Mexique. On a au nord la partie qu’on appelle le pays des Illinois, puis au sud ce qu’on appelle la Basse-Louisiane qui va jusqu’au golfe du Mexique. Donc on est dans ce moment d’exploration mais également de colonisation. Pour la Louisiane, on a l’expédition de Cavelier de la Salle qui va dans les années 1680 établir la colonie de la Louisiane, et au début du XVIIIe siècle, on a la fondation de villes, notamment La Nouvelle-Orléans en 1718. Je suis allée jusqu’à l’après-guerre de Sept Ans, où à la fin de la guerre de Sept Ans, la France est expulsée de ses colonies américaines. J’ai essayé d’entrevoir quelles étaient les répercussions sur les chasseurs, notamment professionnels, de la vallée du Mississippi. Quelles pouvaient être les répercussions liées au changement de monarchie, au changement de domination monarchique. Je me suis intéressée pour la toute fin de mes bornes chronologiques à la situation d’un village, qui a été fondé uniquement par des chasseurs de profession.

    Fanny : J’en profite pour faire un petit coucou au podcast Binouze USA qui font un podcast sur la bière depuis la Louisiane. J’en profite, je peux rarement en parler. Donc là on a bien tout le contexte. On sait où on est, il n’y a pas de souci. Pour revenir à ces chasseurs, quand tu dis « chasseurs » en fait, tu parles autant des colons que des Amérindiens, en fait tu inclues tout le monde dans ce terme ?

    Élise : Alors, ça a été une des grandes difficultés de ce mémoire. Chasseur c’est un terme un peu poreux à cette époque, ça regroupe beaucoup de gens. Il y a des chasseurs qui sont professionnels, qui sont généralement des Français, mais aussi des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons. On a aussi de la chasse qui est faite par tous les habitants car c’est quand même un moyen de se sustenter s’il y a des périodes de famine, où il manque de la nourriture. C’est une activité qui est accessible facilement pour tous ces colons.

    Fanny : Pas comme en Europe peut-être encore à l’époque, j’imagine où la chasse est beaucoup plus réglementée, où c’est le chasseur… où la chasse à l’époque moderne c’est plus un privilège des nobles ? Là aux États-Unis — je dis États-Unis pour résumer — c’est un peu plus chacun fait ce qu’il veut, c’est ça ?

    Élise : Justement, cela a été un des axes de recherche de mon mémoire, où je me suis encore située dans le prolongement des thèmes de recherche et des études qui ont été déjà faites par mon directeur de recherche. On voit en réalité, sur le continent nord-américain, une sorte de démocratisation de la chasse. En effet, en métropole, la chasse est un privilège de noble, la chasse est également un moyen pour revendiquer ses terres, c’est un spectacle sonore et visuel, la chasse, ça fait du bruit, etc. Alors que dans la vallée du Mississippi, tout le monde est amené à chasser, tout le monde peut chasser. On peut plus chasser, je pense, parce que le contrôle par les administrateurs coloniaux est plus difficile, les territoires sont immenses. En fait, il y avait de la chasse en métropole faite par des gens qui n’étaient pas nobles, on appelle ça du braconnage, généralement c’était illégal et puni. Alors que dans la vallée du Mississippi, on s’aperçoit que beaucoup de gens peuvent chasser, notamment des femmes, ce qui était aussi un de mes autres axes de recherche. Et les esclaves, ce qui là pose plus problème.

    Fanny : Qui sont les populations locales et les tribus amérindiennes dans la vallée du Mississippi ?

    Élise : On a plusieurs peuples, plusieurs nations. Je ne sais pas les chiffres exacts, je pense qu’il y en plus d’une centaine. On a notamment ceux qu’on appelait — la prononciation va être approximative, et je suis désolée si j’en choque certains — on a les Quapaw, qui sont le long de la rivière Arkansas, qui est un des affluents du Mississippi. On a aussi, rassemblés dans ce qu’on a appelé les « Petites Nations », plusieurs noms de peuples, les Biloxi, les Moctobi, les Pascagoulas et les Capinas. Sans avoir vraiment étudié ces peuples-là, je me suis aussi intéressée à des travaux sur des peuples amérindiens, pas forcément dans la vallée du Mississippi, où on pouvait se demander si les pratiques cynégétiques, c’est-à-dire les pratiques concernant la chasse, n’étaient pas semblables. Donc je me suis intéressée aux Cherokees, aussi aux Cheyennes, et principalement, ce sont ces peuples-là qui m’ont intéressée.

    Fanny : Sur les pratiques de la chasse, comment les personnes chassaient ? Et quels animaux ils chassaient d’ailleurs ?

    Élise : Je pense que je vais tout d’abord partir des pratiques amérindiennes car souvent les colons ou même les esclaves ont repris des pratiques amérindiennes. Je me suis intéressée à trois animaux importants, qui sont l’ours noir, le bison et ce qu’ils appelaient le chevreuil des Amériques mais je pense que maintenant on parlerait plus de wapiti [NdT : il semblerait qu’il s’agisse en fait du cerf de Virginie – Odocoileus virginianus]. Si on part sur l’ours, on a deux types de techniques. Une qui se fait en hiver, où on attend que l’ours soit en hibernation, et les groupes de chasseurs vont le dénicher dans sa tanière, dans sa grotte, là où il hiberne. Le but étant de lui porter un coup massif sur le crâne, pour l’étourdir, ce qui va notamment le réveiller, mais comme il sort d’une sorte de léthargie, l’animal va être chancelant, il va pas pouvoir se défendre, et après le chasseur lui assène un coup meurtrier. Ils visaient notamment la gorge. Ils étaient armés de ce qu’on appelait des casse-têtes, des tomahawks pour lui donner un violent coup notamment aux cervicales. Il y a une autre technique qui peut se faire notamment après la saison des naissances où des Amérindiens vont se poster en bas des arbres. Ils ont repéré les arbres en fonction des marques de griffures sur l’écorce. Et ils vont imiter les cris de l’ourson.

    Fanny : Oooh [attendrie]

    Élise : Non, ça va être triste. Généralement, la mère va vouloir descendre…

    Fanny : Parce qu’elles sont dans les arbres ?

    Élise : Oui. Souvent les ourses noires élevaient leurs petits dans les arbres. C’est ce que racontent les récits de voyage.

    Fanny : [rires] Je savais pas que les ours grimpaient dans les arbres.

    Élise : Les ours noirs étaient peut-être plus petits que ce qu’on connaît maintenant, c’est pas des énormes grizzlis américains, comme on peut voir dans The Revenant par exemple, maintenant que j’y pense.

    Fanny : Bien sûr.

    Élise : Et donc ils tuaient la mère. Souvent, les oursons étaient apprivoisés et dressés, ils gardaient les oursons, et les ours après.

    [Intermède musical Ryuichi Sakamoto — The Revenant Main Theme]

    Élise : Alors il y a une autre technique amusante, enfin amusante…

    Fanny : Oui, voilà… [rires partagés]

    Élise : Pour le chevreuil, souvent les Amérindiens prenaient, depuis un cadavre de chevreuil qu’ils avaient déjà tué, ils prenaient la tête, ils prenaient un chevreuil mâle…

    Fanny : Hum hum. [mi-dubitative, mi-inquiète]

    Élise : Et la technique consistait à enfoncer son bras dans la tête du chevreuil et se mettre dans les hautes herbes, pour appâter — en fait, c’est une sorte de leurre — tout en imitant le cri d’un chevreuil [Fanny pouffe de rire] pour faire croire donc qu’il y avait un chevreuil, dans les hautes herbes, mais en fait non, c’était un piège, les chevreuils attirés se faisaient tuer.

    Fanny : Mais juste… je visualise la scène. [rires partagés]

    Élise : Ah, y avait des trucs marrants. [rires] Ils étaient assez imaginatifs.

    Fanny : Donc les colons se sont inspirés de ces techniques pour chasser à leur tour ?

    Élise : Alors, pas forcément ces techniques-là même, mais toutes les techniques qui sont basées sur la ruse, l’approche discrète, et les stratégies. Là encore, il y a une grosse différence avec la chasse qui est faite en métropole, la chasse à courre, où il y a des chiens, il y a du bruit, il y a des chevaux, c’est très très sonore. Alors que là, c’est plus de la dissimulation, des leurres, des pièges. Donc là, ils ont appris, je pense qu’il y a eu un transfert culturel et technique de ce côté-là. Aussi peut-être en fonction des armes. Les Amérindiens préféraient les arcs et les flèches, même si, en réalité, les colons français utilisaient beaucoup de fusils. Le fusil était un peu l’objet symbolique de ces chasseurs.

    Fanny : Tu m’as parlé donc de la chasse de la part des esclaves noirs. Comment ça s’est passé en fait ? Tu sais ?

    Élise : Il y avait deux cas. Soit c’était de la chasse pour le maître, le maître avait on va dire un esclave dédié à la chasse. C’est souvent un esclave qui par la suite il lui faisait un peu plus confiance, et il lui donnait certains privilèges.

    Fanny : Donc du coup il lui donnait des armes.

    Élise : Oui, voilà.

    Fanny : C’est une marque de confiance.

    Élise : C’est une marque de confiance, alors que normalement c’est interdit par le Code noir, l’esclave ne doit pas être armé. Ce qui a posé plusieurs problèmes après dans des actions judiciaires. Donc l’esclave pouvait soit chasser pour son maître, il lui rapportait le gibier. On peut imaginer qu’il en gardait une part. Ou non. Mais l’esclave pouvait également être autorisé à chasser pour lui. Il y a certains esclaves qui avaient le droit de tenir par exemple une espèce de potager, mais aussi il pouvait chasser du petit gibier pour compléter son régime alimentaire. Après, je ne pense pas que c’était une généralité. On a eu certains cas d’esclaves, notamment j’ai eu des sources judiciaires parlant de certains esclaves qui, du fait qu’ils étaient armés, il y a eu après des soucis. Par exemple, j’ai lu l’histoire d’un esclave qui a tué un Français sur les terres de son maître, parce que ce Français était venu chasser sur les terres de son maître, et lui ne voulait pas. Voilà, il y a eu un procès. Il y avait la chasse pour les maîtres et la chasse pour la consommation personnelle.

    Fanny : Justement, tu commences à parler des sources. Sur quelles sources tu as travaillé pour savoir tout ça ? Bon, tu m’as dit que ton mémoire n’a pas duré très longtemps, donc j’imagine tu as pas eu le temps de te rendre sur place.

    Élise : Non. J’ai surtout travaillé avec des microfilms, parce que j’ai eu la chance d’avoir des directeurs… enfin mon directeur de mémoire d’une part, et une autre directrice du Centre, Cécile Vidal, qui avaient pas mal de microfilms à eux, ou de microfilms d’archives qui se trouvaient aux États-Unis.

    Fanny : Qu’eux avaient récupéré ou qu’eux avaient microfilmé ?

    Élise : Alors, ils les avaient microfilmés… mais je ne me souviens pas. [rires]

    Fanny : Donc c’est eux qui t’ont donné des documents. Ça t’a fait gagner du temps j’imagine d’avoir directement ça. Tu n’as pas eu à faire de la recherche d’archives supplémentaires ?

    Élise : Non, je n’ai pas eu le temps, et de toute façon, mon directeur de recherche n’était pas forcément pour, il trouvait que c’était peut-être plus intéressant à faire ça en thèse, plutôt que passer, je veux pas dire perdre du temps, c’est jamais une perte de temps d’aller dans les archives, mais passer du temps… C’est quand même un long voyage d’aller aux États-Unis, j’apprends ça à personne. Mais là…

    Fanny : C’était un peu compliqué. Tu es pas en thèse, tu es qu’en mémoire, t’avais pas forcément assez de temps pour faire ça.

    Élise : Voilà, j’avais pas le temps.

    Fanny : Sur quel type d’archives est-ce que tu as travaillé ?

    Élise : Tout d’abord il faut savoir que je n’avais pas de sources écrites de la main même de ces chasseurs. La plupart étaient analphabètes, donc ils ne savaient ni lire ni écrire. J’ai surtout eu accès à des sources qui parlaient d’eux, qui les décrivaient. Premièrement, j’ai surtout utilisé des récits de voyage et des récits d’exploration, qui pouvaient être faits soit par des colons, soit par des officiers, qui me permettaient d’avoir des détails très concrets d’épisodes de chasse, par exemple les différentes techniques d’approche de chevreuil, de bison ou d’ours, c’est dans ces récits de voyage que je les ai trouvées. On pouvait donc voir la rencontre culturelle mais également technique qui pouvait se voir entre des gens de la métropole et puis des Amérindiens. Ça me donnait également une représentation de la faune et de la flore particulière, comment est-ce qu’on voyait les animaux américains ? Parce que j’ai laissé une place très importante aussi à l’histoire environnementale, et aussi à ce que j’appelle histoire animalière, c’est-à-dire voir les animaux comme des acteurs historiques à part entière, et non pas seulement comme des objets, des acteurs un peu passifs ? J’ai essayé de leur retrouver un peu une place.

    J’avais ces récits de voyage, j’avais accès à des écrits administratifs. Toutes les archives qui concernent les colonies, elles se trouvent à Aix-en-Provence, et il y a aussi des microfilms qui se trouvent au centre d’archives dans le Marais…

    Fanny : C’est un peu dispersé !

    Élise : Voilà, et j’ai fait que des microfilms. [rires]

    Fanny : Tu as dû avoir mal aux yeux à la fin !

    Élise : C’était compliqué. J’ai surtout travaillé sur la correspondance reçue par le secrétaire d’État à la Marine, en provenance de Louisiane, souvent écrite par des administrateurs coloniaux, donc des intendants ou des officiers, qui donnent des témoignages plus… Je m’y suis intéressée plus parce que c’était des témoignages sur les comportements des chasseurs, car ils ont été souvent critiqués, car ils étaient souvent en contact avec les Amérindiens, ce qui amenait souvent les officiers… pour eux les chasseurs avaient des mœurs dépravées, ils se comportaient — je cite — « comme des sauvages ».

    Fanny : Ah oui, donc vraiment on parle de ça…

    Élise : Oui, oui, il y avait des termes… voilà quoi… ils étaient, ils étaient comme des « sauvages » amérindiens. J’ai aussi eu le droit sous microfilm à avoir des archives notariales, ce qui me permettait de voir des contrats d’engagement de chasseurs. Là, c’était plus pour le côté « la chasse comme profession ». J’ai eu aussi des archives judiciaires, donc par exemple pour les esclaves, certains procès qui m’ont permis de comprendre quels étaient les conflits qui pouvaient s’installer à travers la pratique de la chasse par les esclaves. J’ai aussi beaucoup utilisé des représentations de la faune nord-américaine par les histoires naturelles, donc faites par des naturalistes et même par des missionnaires, beaucoup de dessins d’animaux pour voir quelle était leur perception, et aussi quels commentaires il pouvait y avoir face à cette faune qui pour eux était étrangère. Et enfin, des sources archéologiques et archéozoologique, ça je n’ai pas eu le temps de vraiment bien m’y intéresser, j’ai surtout lu des comptes-rendus et des livres spécialisés dessus.

    Fanny : Comment se sont passées tes recherches en général ? Elles sont bien passées ? Est-ce que tu as eu des surprises à des moments ?

    Élise : Je pense que c’est plus au moment où… à la base je voulais surtout m’intéresser à la chasse pratiquée par les colons français hommes, mais également essayer de trouver la place des femmes dans ce circuit, et j’ai été amenée à vraiment impliquer la chasse par les Amérindiens et la chasse par les esclaves. Et aussi je pense qu’un des gros points de mon mémoire ça a été d’amener une autre historiographie, c’est-à-dire celle d’une histoire environnementale et l’histoire des animaux, qui m’ont permis aussi de repenser l’acte de chasser différemment. Surtout que je ne connaissais rien du tout en histoire environnementale, ou histoire des animaux, et ça m’a permis de me poser d’autres questions. Je m’étais jamais posé la question « quelles pouvaient être les réactions des animaux face à la chasse ? », etc. J’ai eu des surprises aussi concernant mes recherches sur l’implication des femmes dans la chasse.

    Fanny : C’était quoi d’ailleurs l’implication des femmes dans la chasse à cette époque-là ?

    Élise : On ne parle pas de chasseuse, il n’y a pas de mentions de chasseuse. Enfin au Canada on a une mention d’une « coureuse » — alors ça ne se dit pas « une coureuse de bois » — seule femme à faire cette profession.

    Fanny : On l’imagine courir dans les bois très vite un peu comme dans Twilight. [rires partagés]

    Élise : Voilà, bonne référence. Donc on avait des femmes qui chassaient également, soit pour nourrir leur famille quand justement le mari, qui pouvait être parti dans des grands circuits de chasse pour aller traquer un bison ou un ours, n’était pas là, donc il fallait bien qu’elle trouve des moyens de subsistance. Aussi, ce qui m’intéressait c’était les femmes qui pouvaient donc chasser, autour de la maison, aussi j’ai lu pas mal de travaux sur la place des femmes amérindiennes dans la chasse, ou des fois elles pouvaient servir de rabatteuse pour les animaux, qui après étaient tués par des hommes là pour le coup.

    Ça m’a permis de me reposer des questions sur qu’est-ce que c’était en fait chasser ; et aussi est-ce que c’était juste une profession ; est-ce que c’était juste aller soi-même traquer, est-ce que la femme qui chassait, enfin qui ne faisait que rabatteuse, était pas également elle aussi chasseuse ? Est-ce que ces femmes pouvaient être chasseuses aussi ? En tout cas dans les archives, ce n’est jamais mentionné, je n’ai jamais trouvé de contrat d’engagement pour une femme, mais c’était une manière de repenser l’action de chasser, d’essayer de trouver la place de ces femmes. Est-ce qu’elle était autant, elle n’était pas égale à l’homme, mais quelle était sa place particulière ?

    Fanny : Les archives elles étaient en français de l’époque, ça a pas été trop compliqué pour les lire ?

    Élise : Alors, c’est un français de l’époque. J’ai pas trouvé ça trop compliqué à lire, ce qui m’embêtait plus c’était la calligraphie de certains officiers qui…

    Fanny : Des belles boucles d’époque moderne…

    Élise : Là non, non, justement il y en avait qui écrivaient très très mal. Ça c’était mon principal problème. Sinon, en soit les tournures de langues qu’on peut trouver dans l’ancien français, ça ne m’a pas posé de problème particulier. C’était vraiment déchiffrer des écritures parfois illisibles, c’était ça le principal problème dans ces archives.

    Fanny : Qu’est-ce que ça t’a apporté personnellement de faire ce mémoire ?

    Élise : C’est toujours une période qui m’a fascinée. L’histoire des peuples amérindiens, même encore aujourd’hui, me fascine énormément, et toutes ces questions de transfert de culture, de contacts entre différents peuples, et des accommodations qui peuvent en être tirées, pour moi c’était… pendant que j’ai écrit ce mémoire, je trouvais ça fascinant. Et également, j’étais contente de pouvoir inclure toute la question environnementale, donc que ce soit les animaux, ou également le rapport à la nature. Pour moi c’était important, parce que ça permettait une étude encore plus globale de la chasse, car souvent on voit surtout des études de chasse concentrées sur les chasseurs, mais rarement quelque chose qui implique ceux qui chassent, ceux qui sont chassés. Donc personnellement, c’était très satisfaisant aussi d’essayer au moins d’avoir une sorte de vision globale en incorporant beaucoup d’acteurs. C’est une région géographique qui me fascine beaucoup, depuis petite j’ai un peu été bercée par le folklore qu’il peut y avoir en Amérique du Nord, sur la vision des trappeurs, etc. Donc, pour moi c’était très enrichissant et très épanouissant de travailler sur cette région.

    Fanny : Tu aimerais continuer une thèse sur le sujet ?

    Élise : Alors j’aimerais bien faire une thèse, mais du moins, pas pour le moment, depuis que j’ai rendu mon mémoire en septembre 2018, j’ai préparé les concours de l’enseignement, donc le CAPES d’histoire-géo, et l’agrégation d’histoire. Cette année, j’ai été reçue aux écrits du CAPES et de l’agrégation. Au final, j’ai eu le CAPES, ce qui est déjà…

    Fanny : C’est déjà bravo. [rires partagés] Franchement, bravo.

    Élise : Merci.

    Fanny : C’est très bien.

    Élise : Et cette année, je repars pour une nouvelle année de préparation à l’agrégation. Après, j’aimerais beaucoup enseigner avant tout, pour le moment la thèse, c’est pas une priorité pour moi. J’aimerais voir le monde de l’enseignement, et je pense que j’y reviendrai un jour, certainement dans quelques années, mais j’aimerais enseigner à côté peut-être. Alors, je ne sais pas si ce sera possible financièrement, ou si j’ai d’autres projets à côté, j’aimerais bien peut-être avoir un mi-temps et faire la thèse à côté, essayer de concilier les deux. Mais encore une fois, je ne sais pas si ce sera possible, mais j’aimerais bien, mais dans quelques années, y revenir et me replonger dans ces histoires de Mississippi.

    Fanny : Pour finir, Élise, une dernière petite question que je pose souvent dans les épisodes : est-ce que tu aurais des conseils pour quelqu’un qui voudrait étudier cette période et cette région, donc l’Amérique du Nord à la fin du XVIIe siècle ?

    Élise : Alors déjà, ne pas faire comme moi qui ai voulu faire une étude très large, j’ai voulu incorporer beaucoup de choses, beaucoup d’acteurs, de beaucoup de pratiques… C’est un ensemble géographique très grand, très important, peut-être plus se concentrer, faire des limites, se concentrer peut-être sur une aire géographique plus restreinte ou un groupe en particulier d’acteurs, parce que moi j’étais un petit peu débordée [rires partagés] avec tous mes chasseurs. Quoi d’autre… Je pense aimer son sujet, c’est quelque chose aussi de primordial, ça c’est bon que ce soit dans la vallée du Mississippi ou pour tout autre sujet [rires]. Bien choisir son directeur de mémoire c’est vrai que pour les études nord-américaines, il y a quelques centres qui proposent… surtout sur la période moderne, car on voit dans certaines universités c’est certes de l’histoire de l’Amérique du Nord, mais plus de l’époque contemporaine. À l’époque moderne, il faut bien choisir son centre et les spécialistes. Moi à l’EHESS, c’était bien, sans faire de la pub. [rire gêné]

    Fanny : Oh, il faut, il faut.

    Élise : À l’EHESS on avait un très bon encadrement, concernant cette région et cette époque.

    Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous savez un petit peu plus qui étaient les chasseurs du Mississippi, quel était le contexte historique dans la vallée du Mississippi à la fin du XVIIe siècle. Donc merci beaucoup Élise Rétoré pour toutes ces belles choses que tu nous as racontées.

    Élise : Merci à toi.

    Fanny : Pour les auditeurs, si cet épisode vous a plu et que vous voulez en savoir plus sur les États-Unis à cette époque-là, je vous rappelle qu’il y a l’épisode 7 qui parle des origines de New York, donc on est vraiment à la même époque mais pas exactement dans la même zone géographique. Et si l’époque moderne vous intéresse, il y a aussi plein d’autres épisodes pour Passion Modernistes.

    Et si vous voulez écouter encore plus de podcasts sur l’histoire, vous pouvez bien sûr aller écouter le podcast Passion Médiévistes, qui parle de Moyen Âge, on s’en doute, et tous ces podcasts se retrouvent sur le site passionmedievistes.fr, vous avez des petits onglets en haut où vous pouvez tout retrouver.

    Le podcast Passion Modernistes est aussi sur Twitter et Facebook, si vous voulez un petit peu suivre les actualités du podcast ou nous faire vos retours sur ce que vous avez pensé des épisodes. Dans le prochain épisode de Passion Modernistes, on va partir en Lorraine, on va repartir en Lorraine à l’époque moderne. Salut !

    [Pocahontas – L’air du vent]

    Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !

    Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).

    Si cet épisode vous a plu, je vous conseille d’écouter l’épisode 7 de Passion Modernistes qui porte sur les origines de la ville de New York.

    Épisode 5 – Noémie et les mariages à la cour de Louis XIV

    Épisode 5 – Noémie et les mariages à la cour de Louis XIV

    Comment se passaient les mariages à la cour de Louis XIV ? Plongez la tête la première dans les festivités et les archives !

    Passion Modernistes

    Dans cet épisode on vous propose un petit voyage mental à la période faste de la cour de Versailles : imaginez la Galerie des glaces du château de Versailles, les chambres somptueuses, les grands jardins… Et bien sûr Louis XIV, un des rois de France les plus connus à travers le monde.

    Noémie Arnaud
    Noémie Arnaud
    Des mariages à Versailles

    Dans le cadre d’un master 2 Recherche-Agrégation Civilisation des temps modernes à l’université Paris Sorbonne, Noémie Arnaud a réalisé un mémoire sur le sujet “Des mariages à la cour de Versailles : le cas des légitimés, 1692« , sous la direction de Lucien Bély. Elle a étudié les mariages des enfants légitimés de Louis XIV, et plus particulièrement ceux qui se sont déroulés à un mois d’intervalle durant l’année 1692. Il s’agit du mariage du duc de Chartres (le neveu du roi) et de Mlle de Blois II (dernière fille du roi et de Mme de Montespan) qui s’est déroulé les 17 et 18 février, et de l’union du duc du Maine (fils ainé du roi et de Mme de Montespan) et de Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé (princesse du sang), qui a eu lieu les 18 et 19 mars.

    Des festivités remarquables

    Dans cet épisode, Noémie Arnaud raconte son travail sur les dispositions légales des mariages, sur le cérémonial, et les à côtés des mariages, comme les festivités et les repas de noce. A la Cour, le mariage est un évènement capital, tant financier que social, politique et mondain. Les mariages de 1692 s’inscrivent dans la politique de promotion sociale que mène Louis XIV à l’égard de ses enfants légitimés, et plus particulièrement de ses filles, tout en étant un prétexte au déploiement de festivités remarquables, montrant les largesses et la magnificence royale. Les mariages en général, dont ceux de 1692, sont également l’une des facettes de la représentation royale, renforçant à la fois la cohésion familiale – à travers des alliances internes au sein de la famille large – et les liens du sang.

    Sur le sujet des bâtards de princes vous pouvez écouter l’épisode de Passion Médiévistes sur le sujet, dans la famille des Bourbon à la fin du Moyen Âge.

    Si vous voulez en savoir plus sur le sujet voici les conseils bibliographiques de Noémie :
    Chapelle royale de Versailles
    Chapelle royale de Versailles © Jean-Marc Manaï

    Sur les mariages :

    • BOLOGNE. J.-C, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 1997.
    • CRESCENZO, R, ROIG-MIRABDA. M, ZAERCHER. V (dir), Les mariages dans l’Europe des XVIème et XVIIème siècles : réalités et représentations, 2 tomes, Nancy, PUN2, 2002.
    • GAUDEMET. J, Le mariage en Occident, Paris, Cerf, 1987.

    Sur la société du Grand siècle :

    • AVIGNON. C (dir), Bâtards et bâtardise dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes, PUR, 2016.
    • BELY. L, La société des Princes, XVIème-XVIIIème siècles, Paris, Fayard, 1999.

    Sur les représentations et les fêtes :

    • APOSTOLIDES. JM, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, ed. de Minuit, 1981.
    • LEFERME-FALGUIERES. F, Les courtisans. Une société de spectacle sous l’Ancien Régime, Paris, PUF, 2007.
    • MOINE. MC, Les fêtes à la cour du Roi-Soleil, Paris, ed. F. Lanore et F. Sorlot, 1984.
    • QUELLIER. F, Festins, Ripailles et bonne chère au Grand Siècle, Paris, Belin, 2015.
     Dans cet épisode vous pouvez entendre quelques extraits des œuvres suivantes :
    • Cendrillon (1950)
    • Le Roi Soleil – Vice Versailles
    • L’allée du roi (1995)
    • Frank Sinatra – Love and Marriage

    Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).

    Transcription de l’épisode 5 (cliquez pour dérouler)

    Fanny Cohen Moreau – Bonjour à toutes et à tous, l’Histoire moderne, vous commencez à le savoir, c’est cette période historique coincée entre le moyen âge et l’époque contemporaine. En gros, pour l’Europe occidentale c’est entre 1500 et 1800.

    Dans ce podcast Passion Modernistes je vous propose de rencontrer de jeunes historiens et historiennes qui étudient cette période.

    Episode 5, Noémie et les mariages, c’est parti !

    [Extrait du film On connait la chanson !

    « Il y a des gens que, que ça intéresse »

    « Non personne »]

    Fanny Cohen Moreau – Bonjour Noémie Arnaud.

    Noémie Arnaud – Bonjour Fanny.

    Fanny Cohen Moreau – Tu as fait un mémoire sur les mariages à la cour de Versailles dans le cadre d’un master recherche agrégation sur la civilisation des temps modernes à l’Université Paris Sorbonne et tu étais sous la direction de Lucien Bély. Parfois, on reçoit ici des gens qui ont travaillé sur des dizaines d’années, voire sur des siècles, et toi Noémie tu as travaillé sur une seule année, 1692. Alors, je replace, pour les auditeurs, c’est en fait la période un peu faste de la cour de Versailles. On a tous en tête la galerie des glaces du château de Versailles en France, les chambres somptueuses, les grands jardins et bien sûr Louis XIV, un des rois de France les plus connus à travers le monde. Qu’est-ce qui t’a attirée dans cette période pour que tu veuilles travailler dessus ?

    Noémie Arnaud – Et bien finalement, c’est un petit peu ce que tu as dit, les chambres somptueuses, le faste, le cérémonial de cour, les rois, les reines, les princesses. Alors, c’est un peu trivial et c’est un petit peu enfantin, mais finalement, ce qui m’a attirée en premier dans cette période-là, oui, c’est le côté princes et princesses finalement.

    Fanny Cohen Moreau – Mais est-ce que l’on ne connait pas déjà tout sur cette période ? Enfin j’ai l’impression quand même que ça a été beaucoup beaucoup étudié.

    Noémie Arnaud – Alors oui, c’est vrai que c’est une période qui est extrêmement travaillée. C’est une période qui attire beaucoup les chercheurs. Mais finalement non, on ne connait pas tout. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’Histoire est une science qui évolue, donc on arrive toujours à trouver de nouveaux sujets et puis, avec les champs historiques qui évoluent, en fait, qui se développent, on arrive aussi à trouver de nouveaux angles d’attaque, finalement, pour étudier une période qui est déjà travaillée. Alors évidement, tu vas me dire, travailler sur Louis XIV purement et simplement en tant que roi de France, c’est un petit peu bouché à l’heure actuelle. Quand moi j’étais en master, il y avait de l’Histoire politique et diplomatique. Ça, c’est quelque chose, ce n’est pas un nouveau champ, c’est quelque chose qui est assez régulier. Tout ce qui est Histoire du cérémonial de cour aussi, Histoire du genre, Histoire des femmes, Histoire de la famille comme moi, ce que j’ai fait.

    Fanny Cohen Moreau – Alors au sein de ce cadre prestigieux, tu as choisi de travailler sur des mariages, ceux des ducs de Chartres et du Maine. Déjà, qui c’est, le duc de Chartres et qui c’est le duc du Maine ?

    Noémie Arnaud – Alors le duc du Maine, c’est le fils bâtard que Louis XIV a eu avec l’une de ses nombreuses maitresses, Madame de Montespan. Alors, on le sait, Louis XIV a eu énormément de maitresses et Madame de Montespan était maitresse en titre, c’est-à-dire qu’elle était favorite du roi. Et donc, avec Louis XIV, elle a eu 7 enfants dont 4 sont arrivés à l’âge adulte, et le duc du Maine, Louis Auguste de Bourbon est l’un de ces enfants.

    Fanny Cohen Moreau – Et l’autre le duc de Chartres ?

    Noémie Arnaud – Alors, le duc de Chartres, c’est tout simplement le neveu du roi. C’est-à-dire qu’en fait, il est le fils du frère de Louis XIV, donc Philippe d’Orléans, dit Monsieur, et de sa seconde épouse Elisabeth Charlotte, princesse Palatine du Rhin.

    Fanny Cohen Moreau – Et pourquoi tu as voulu t’intéresser à leurs mariages ? Qu’est-ce qu’ils avaient de particuliers pour que tu décides de faire ton mémoire dessus ?

    Noémie Arnaud – Alors, deux particularités principales sur le mariage : la première, c’est que ça concerne deux enfants légitimés du roi. Donc, le duc du Maine a eu 6 frères et sœurs, 4 sont arrivés à l’âge adulte. Ils ont tous été légitimés. Légitimés, c’est-à-dire qu’ils ont été reconnus par lettres patentes enregistrées au parlement de Paris comme étant les seuls enfants du roi. Ça parait un petit peu bizarre mais en fait, comme Madame de Montespan était mariée, il ne fallait pas que le mari de Madame de Montespan puisse réclamer la paternité des enfants de Louis XIV.

    Fanny Cohen Moreau – C’est quand même fou comme histoire.

    Noémie Arnaud – Oui, alors du coup quand on lit les lettres patentes, les lettres de légitimation, parce que ça s’appelle comme ça. Il y a écrit que, en fait, les enfants n’ont pas de mère. Ils n’ont pas de mère, ce sont les seuls enfants de Louis XIV.

    Fanny Cohen Moreau – Est-ce que c’est parce que c’était le roi qu’il pouvait faire ça ou c’était pratiqué à l’époque ?

    Noémie Arnaud – Moi, je me suis concentrée sur ces deux mariages-là, donc je n’ai pas une vision complète en fait. En général, les rois de France s’arrangeaient pour avoir des maitresses – en tout cas ceux à qui il faisait des enfants – non mariées. Donc ça évitait cette problématique. Là, en l’occurrence, elle est mariée, donc il fallu trouver une solution. Ils se sont servis d’un précédent avec Henri IV, je crois. Ce n’est quand même pas très courant. C’est quand même assez original de dire sur lettres patentes enregistrées au parlement de Paris que « bah non, eux ils n’ont pas de mère ».

    Fanny Cohen Moreau – Et à cette époque-là, l’Église ne pouvait pas protester, le pape ne pouvait pas dire des choses, ou ce n’est plus comme au moyen âge du tout, l’Église n’a plus autant de pouvoir ?

    Noémie Arnaud – C’est contesté forcément par l’Église. L’Église elle n’est pas forcément d’accord pour que le roi de France, il ait des maitresses. Maintenant, c’était admis et il le faisait quand même. Et puis, les lettres de légitimation ne dépendaient pas de l’enregistrement par l’Église.

    Fanny Cohen Moreau – Mais le duc de Chartres, ce n’était pas un enfant légitimé. Pourquoi lui, c’était particulier son mariage ?

    Noémie Arnaud – Ah, parce que lui, il a épousé une enfant légitimée. Donc en fait, Louis XIV, il a dit à son neveu « Bah tiens, ma fille ».

    Fanny Cohen Moreau – Et donc sa fille qu’il a eue avec qui ?

    Noémie Arnaud – Madame de Montespan

    Fanny Cohen Moreau – Ces mariages ont eu lieu la même année ?

    Noémie Arnaud – Tout à fait, à un mois d’intervalle en fait.

    Fanny Cohen Moreau – En quoi ces mariages pouvaient être différents de mariages plus classiques d’enfants légitimes ?

    Noémie Arnaud – La principale différence c’est que dans le cadre des mariages d’enfants légitimes du roi qu’il a eu avec la reine, on va en général aller choisir une princesse étrangère pour les questions d’alliances diplomatiques. Là, en l’occurrence ce n’est pas le cas. Pour le duc de Chartres, Louis XIV utilise un prétexte. Donc, ce prétexte, c’est la guerre de la ligue d’Augsbourg en 1686. On est en 1692, donc on est en pleine guerre de la ligue d’Augsbourg où en fait, la France se retrouve un petit peu toute seule contre l’Angleterre, l’Empire, l’Espagne, le Portugal, la Suède, le Danemark.

    Fanny Cohen Moreau – Comme d’habitude.

    Noémie Arnaud – Tout à fait. Et donc, il se sert de ce prétexte-là en disant : « Bah écoute mon neveu, tu es en âge de te marier, par contre, je suis désolé c’est la guerre, donc tiens, ma fille, c’est la seule chose que je peux te proposer si tu veux te marier. Et de toute façon, t’as pas le choix. »

    Fanny Cohen Moreau – Donc ils sont cousins en fait ces enfants.

    Noémie Arnaud – Oui cousins germains. Cousins issus de germains en fait, pour être très techniques.

    Fanny Cohen Moreau – Et pour le duc du Maine ?

    Noémie Arnaud – Lui, c’est un enfant légitimé et c’est un bâtard et c’est un homme. En général les hommes bâtards étaient moins mariés que les filles pour éviter en fait que ça crée des branches parallèles finalement dans la famille royale. C’était moins courant que les garçons légitimés soient mariés, mais en fait le duc du Maine, il avait envie d’être marié. Du coup il est allé demander à son père de se marier. Et donc du coup, avec Madame de Maintenon, parce que Louis XIV était déjà marié avec Madame de Maintenon, qui était la gouvernante du duc du Maine, ils ont discuté et puis ils se sont dit « Bon bah écoute, à la limite il y a les petites princesses de Condé. Bon elles ont un défaut, elles ne sont pas très grandes en taille mais il y a les petites princesses de Condé. » C’est très très important parce qu’en fait, la seule chose qu’a eu à faire le duc du Maine derrière ça, c’est en fait de choisir parmi les 3 filles du prince de Condé. Donc c’est des princesses de sang et son critère de sélection, ça a été la taille.

    Fanny Cohen Moreau – Et là comment tu sais qu’il les a choisies par rapport à la taille ? Dans les archives, c’est mentionné tout ça ?

    Noémie Arnaud – C’est mentionné dans les mémoires, en fait. Dans les lettres, notamment de la Palatine en fait, donc de la mère du duc de Chartres. Parce que La Palatine avait très très peur que le roi décide de marier sa fille au duc du Maine. Elle avait très très peur, alors du coup elle a essayé de trouver des solutions en fait pour que le duc du Maine, il n’épouse pas sa fille. Et une de ces solutions ça a été de dire : « Ah bah à la limite il y a peut-être les princesses de Condé ». Le prince de Condé était très très très très très content que le roi veuille prendre une de ses filles pour belle-fille en fait, donc du coup il lui a dit « bah écoute, tiens, choisi ».

    [Extrait du dessin animé Cendrillon de Disney

    Le Roi – L’important est qu’un jeune homme rencontre une jeune fille dans des conditions favorables. Alors à nous de faire en sorte qu’elles le soient mon cher duc.

    Le grand-duc – Mais, mais votre majesté, si jamais le prince se doute…

    Le roi – Mais qu’est-ce que vous me chantez là ? Allons, le prince rentre de voyage aujourd’hui n’est-ce pas ?

    Le grand-duc – Heu ouououi sire.

    Le roi – Et bien, qui a-t-il de plus naturel qu’un grand bal pour fêter son retour ?

    Le grand-duc – Heuu rien sire.

    Le roi – Et si par hasard toutes les filles à marier de mon royaume étaient [rire] conviées à ce bal, pourquoi ne tomberait-il pas amoureux de l’une d’entre elle je vous le demande ?]

    Fanny Cohen Moreau – Et dans ton mémoire, qu’est-ce que tu as étudié précisément sur ces mariages ?

    Noémie Arnaud – J’ai étudié différents éléments. D’abord, tout ce qui était dispositions légales autour du mariage, donc j’ai travaillé beaucoup, j’ai fait tout un chapitre sur les contrats de mariages et les dispositions légales. J’ai travaillé sur le cérémonial pur, donc sur le déroulement des deux mariages : les points communs, les différences, qui était là, qui n’était pas là. Et tout ce qui allait à côté du mariage, donc tout ce qui est festivités, repas de noces finalement, perception du mariage aussi à la cour, à l’étranger et dans l’opinion publique, parce que l’on sait maintenant qu’il y avait un début d’opinion publique à la fin du XVIIème siècle, et également j’ai travaillé sur les tenues vestimentaires des mariages.

    Fanny Cohen Moreau – Alors raconte-nous comment se sont passés ces mariages. Il y a eu un souci, des problèmes de robes ou alors non vraiment tout s’est très bien passé ?

    Noémie Arnaud – Alors, des problèmes de robes, non. Par contre, il y a eu des petits problèmes de cérémonial, il y en a toujours. C’est le maitre de cérémonie de l’année 1692, en fait, Desgranges, qui nous raconte ça dans ses relations de cérémonies. Et donc, il nous explique par exemple que pour la messe du mariage du duc de Chartres, il y a eu un problème de carreau. Donc le carreau, c’est le grand coussin qui était posé sur les marches de l’autel pour que les mariés viennent s’agenouiller pour être bénis. Et bah là, il y a eu un problème, il manquait un carreau, donc du coup il a fallu en amener un autre en urgence. Il était trop grand, il ne tenait pas sur la marche. Enfin voilà.

    [Rires]

    Fanny Cohen Moreau – Le problème existentiel quoi !

    Noémie Arnaud – Tout à fait ! Mais sinon, dans l’ensemble, il n’y a pas eu de gros gros soucis. On sent juste en fait que pour le mariage du duc de Chartres, le roi a mis un petit cran au-dessus par rapport au mariage du duc du Maine au niveau cérémonial, donc tout ce qui est longueur des processions, dispositions légales finalement. Le montant de la dot de la duchesse de Chartres est absolument faramineux. Et par exemple, pour les processions, là, c’était les gardes qui étaient en tenues de cérémonie alors que pour le mariage du duc du Maine, ils étaient en habit normal. Donc c’est des petits éléments comme ça. Pour le duc du Maine, en plus, les processions ont été raccourcies. Pour la simple et bonne raison que le duc du Maine étant boiteux, pour lui, les grandes distances c’est un petit peu compliqué.

    Fanny Cohen Moreau – Quelles étaient alors à l’époque les étapes d’un mariage ? Les grandes étapes incontournables d’un mariage ?

    Noémie Arnaud – La première étape, d’abord, c’est la publication des bans. Alors en fait, ça servait à informer le fait qu’il y allait avoir un mariage et donc éviter les mariages clandestins. Dans le cadre du mariage du duc de Chartres, ce qui n’est pas le cas pour le mariage du duc du Maine, il y a eu nécessité de demander une dispense pontificale, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient cousins issus de germains. Alors normalement, les cousins issus de germain n’ont pas le droit de se marier, mais comme là, ils allaient se marier, le roi est allé demander au pape une dispense, donc en fait ça cassait la règle de l’Eglise et donc comme ça, ils ont pu se marier.

    Fanny Cohen Moreau – Le pape a accordé la dispense tranquille…

    Noémie Arnaud – Il n’avait pas trop le choix, je pense. Pareil, ça fait partie de tout un… c’est des secrétaires d’état qui envoient un envoyé à Rome, et puis il faut qu’il revienne, enfin voilà, donc c’est encore toute une histoire mais ils l’ont eu, la dispense.

    Le mariage du duc de Chartres, il a eu lieu le 17 et le 18 février 1692, et le mariage du duc du Maine a eu lieu les 18 et 19 mars de la même année. Donc le mariage on peut le voir, se coupe en 2 jours. Le premier jour, ce sont les fiançailles. Donc les fiançailles, finalement, c’est l’occasion à la fois de lire le contrat de mariage, à la fois de le signer, toujours selon la hiérarchie de la famille royale. Bien sûr, le roi en premier et après les fils de France, les petits-fils de France, les princes du sang etc. Voilà, ils ont lu le contrat, ils l’ont signé et ensuite c’est l’échange des cadeaux. Tu auras le roi qui dit qu’il va offrir à sa fille pour tant de livres de bijoux. Oui, elle a eu beaucoup de bijoux, la duchesse de Chartres. Beaucoup, beaucoup de bijoux. Un certain nombre de meubles, enfin le trousseau finalement. Et donc une fois qu’il y a les cadeaux en fait, c’est fini, ils sont bénis par l’officiant.

    Fanny Cohen Moreau – Ils sont fiancés.

    Noémie Arnaud – Voilà ils sont bénis, et puis ça y est, c’est bon, ils sont fiancés. Après le repas qui suit les fiançailles, finalement, le roi a offert un bal pour les fiançailles du duc de Chartres. Et pour les fiançailles du duc du Maine, il a offert un divertissement et une collation à Trianon, un petit peu comme les soirées d’appartement. Sachant que Trianon, c’est un petit château qui s’est fait construire pas très loin du grand château de Versailles.

    Fanny Cohen Moreau – Donc on fait la fête le soir des fiançailles et le lendemain donc, il y a le mariage.

    Noémie Arnaud – Tout à fait. Donc le mariage suit immédiatement le conseil du roi. Ça se passe avant la messe du roi. Il sort du conseil vers 11h à peu près, donc finalement avant de déjeuner, quoi. On expédie les affaires du royaume, on marie sa fille et ensuite on va aller manger. Le mariage, il a eu lieu dans la chapelle du château. Ça consiste en une suite de rituels et de prières et de bénédictions. Ils sont déclarés mariés après l’échange des consentements et vérifications des autorisations parentales, multiples révérences également. Après, il y a la messe, après, il y a encore d’autres rituels, bénédictions, encore, le duc de Chartres et le duc du Maine donnent un anneau d’or, qui est béni, à la mariée. On a encore d’autres rituels entres les mariés et l’officiant, donc c’est des rituels d’offrandes, il y a encore des bénédictions, et puis après c’est fini. Et une fois que tout ça c’est fait, on va manger.

    Fanny Cohen Moreau – C’est vraiment important le repas. Que ce soit pour les fiançailles ou pour le mariage, c’est indispensable.

    Noémie Arnaud – Ça suivait le fil de la journée finalement. Pour les fiançailles, on était après 18h, le temps que ça se fasse, que tout le monde signe et tout, qu’il donne les cadeaux, qu’il explique qu’est-ce qu’il avait donné en cadeau. Et puis après, il fallait manger parce que de toute façon, c’était l’heure, et du coup les divertissements suivent en fait le repas

    Fanny Cohen Moreau – Est-ce qu’il y a eu des choses particulières pendant ces mariages, en termes de divertissements ou d’événements ?

    Noémie Arnaud – Réellement, la particularité de ces deux mariages, c’est vraiment les divertissements qui suivent les fiançailles. C’est le bal pour les fiançailles du duc de Chartres et le divertissement à Trianon pour le duc du Maine. Pour le mariage du duc de Chartres, il y a également un bal le lendemain du mariage, mais seulement le lendemain du mariage. Parce qu’en fait, il fallait que l’union soit consommée. Donc, c’était une fois que le souper a eu lieu, donc le soir, toute la cour qui se promène jusqu’à la chambre nuptiale pour voir l’officiant bénir le lit. Ensuite, le roi fait sortir tout le monde et puis consommation du mariage.

    Fanny Cohen Moreau – Mais le roi, il ne reste pas, on est d’accord ?

    Noémie Arnaud – Non non, il ne reste pas, dans ce cas-là.

    Fanny Cohen Moreau – Mais il y a déjà des fois où les gens sont restés pendant la consommation ?

    Noémie Arnaud – Quand j’ai travaillé pour un exposé sur le mariage de Catherine de Médicis avec le futur Henri II, l’envoyé pontifical et le père d’Henri II, donc François Ier, ils sont restés.

    Fanny Cohen Moreau – Ils sont restés les regarder avoir leur première relation.

    Noémie Arnaud – Oui.

    Fanny Cohen Moreau – OK.

    Noémie Arnaud – Pour être sûrs que ça ait bien lieu. Parce qu’en fait, l’envoyé pontifical, il voulait être sûr qu’après, Catherine ne soit pas répudiée. C’était une garantie, cette consommation en fait. Le fait que le mariage ait été consommé, la consommation charnelle faisait qu’ils étaient mariés.

    Fanny Cohen Moreau – Ok, donc là, quelques années plus tard, sous Louis XIV, on n’est pas à ce point-là. De toute façon, là, on n’a pas peur que la mariée soit répudiée à ce niveau-là.

    Noémie Arnaud – Non, là, pas du tout. Et puis de toute façon, c’est le mariage de sa fille, donc le duc de Chartres a plutôt intérêt à consommer, si tu veux mon avis.

    [Musique « Et vice Versailles » par Le roi soleil]

    Fanny Cohen Moreau – Comment se sont passées tes recherches pour travailler sur ces mariages ? Qu’est-ce que tu as fait et est-ce que tu as pu être en contact direct avec des manuscrits ?

    Noémie Arnaud – Oui, oui, oui, j’ai été en contact direct avec les manuscrits. En fait, j’ai commencé par faire un point bibliographique pour savoir ce qui avait été fait, ce qui n’avait pas été fait, ce qui avait été trouvé aussi, ce qui ne l’avait pas été. Parce qu’en master d’Histoire moderne et pareil en thèse d’ailleurs, d’autant plus en thèse, on a comme condition imposée de trouver des documents inédits. C’est-à-dire des documents qui n’ont jamais été trouvés par quelqu’un et donc d’où ce soient nos bébés à nous.

    Fanny Cohen Moreau – Comment tu trouves un document qui n’a jamais été trouvé, je ne comprends pas vraiment ?

    Noémie Arnaud – Alors, avec un sujet qui n’a pas été forcément travaillé, tu arrives à trouver des documents qui n’ont pas été forcément travaillés ou en tout cas, pas travaillés sous l’angle sous lequel tu l’as fait.

    Fanny Cohen Moreau – Donc ce n’est pas des documents que tu es allée trouver dans des archives ou dans des fonds privés où ça n’a jamais été mis au grand public quoi ?

    Noémie Arnaud – En fait, le fait d’avoir un document inédit, c’est en fait un document qui n’a pas été encore publié. Et donc, pour un master d’Histoire moderne, on a comme condition imposée, en fait, d’avoir des documents qui n’ont jamais été travaillés par quelqu’un, qui n’ont jamais été publiés, donc un document inédit. Et donc, pour réussir à savoir si un document est inédit ou pas, il faut d’abord faire le point sur l’aide bibliographique, ce qui a été trouvé ou pas. Un fois que ça c’est fait, on épluche, enfin moi en tout cas, j’ai épluché les catalogues d’archives, donc j’ai été aux archives nationales, j’ai été à la BNF, je suis allée aux archives diplomatiques, je suis allée dans beaucoup d’endroits, je suis allée à la bibliothèque Mazarine aussi, donc les archives constituées notamment par Mazarin. Et je suis allée aussi au château de Chantilly, parce que le château de Chantilly, en fait, c’est le château des princes de Condé. Après, on épluche les fonds et effectivement, dans plusieurs cas, j’ai eu vraiment le manuscrit en lui-même dans les mains. On m’a donné un lutrin ou on me l’a posé dessus.

    Fanny Cohen Moreau – Mais ton directeur de mémoire, quand il t’a donné ce sujet, il savait que ça n’avait jamais été étudié, il s’est dit : « bah attend, là on a un pan de l’histoire qui n’est pas étudié, vas-y Noémie, fonce » ?

    Noémie Arnaud – Ce qui s’est passé, c’est que j’ai pas mal discuté avec lui en rendez-vous pré-master et on a déterminé un petit peu mes points d’intérêts pour connaitre un petit peu sur quoi j’aimais travailler, sur quoi j’aimerais travailler aussi, et au fur et à mesure, on a défini un sujet. Bon à l’époque, il était beaucoup trop large, je devais travailler sur les mariages de la famille royale sous Louis XIV, et c’était bien trop large. Donc du coup, on a restreint en fait à ces mariages de 1692, qui ont du coup la particularité déjà évoquée d’être des mariages de bâtards et en plus, d’être des mariages hypergamiques.

    Fanny Cohen Moreau – D’ailleurs j’en profite juste pour dire, les auditeurs, si le sujet des bâtards vous intéresse, dans l’autre podcast Passion Médiévistes, nous avions fait un épisode spécial sur des bâtards de princes au Moyen Âge, si vous voulez en savoir plus sur comment ont été élevés les bâtards, comment étaient considérés les bâtards dans une famille de prince. Et donc, dans ton travail d’archive, tu as découvert des sources inédites.

    Noémie Arnaud – Alors j’ai principalement trouvé les quittances de dot de la duchesse du Maine. Donc dans les registres comptables de son père, j’ai trouvé à chaque fois la somme qu’il a versé au duc du Maine pour la dot de sa fille. J’ai trouvé des plans de table, j’ai trouvé des plans de la chapelle et puis les relations de mariage. Bon après, les relations de mariage avaient déjà été en partie publiées pour une des deux versions par Alexandre Maral.

    Fanny Cohen Moreau – Qu’est ce qui t’a le plus surpris dans ton travail ?

    Noémie Arnaud – Je ne sais pas si quelque chose m’a surpris en particulier, parce qu’à partir du moment où t’as fait le travail bibliographique, que t’as fait le travail d’archives que tu sais sur quoi tu pars finalement, c’est plus vraiment quelque chose de surprenant. Enfin moi, en tout cas, je savais où j’allais une fois que j’avais fait tout ce travail-là. Par contre, le plus frustrant en fait, dans la recherche, c’est d’abord de pas forcément trouver le document qu’on veut. Par exemple, j’ai cherché pendant deux ans… bon je n’ai pas trouvé hein, si d’ailleurs quelqu’un sait où c’est… J’ai pas trouvé de représentation iconographique de ces deux mariages. Je ne les ai pas trouvées.

    Fanny Cohen Moreau – Mais tu sais qu’elles existent ?

    Noémie Arnaud – Bah justement, je ne sais pas. Je ne les ai pas trouvées.

    Fanny Cohen Moreau – Mais d’habitude ça existe, c’est pour ça que tu penses qu’il y en a ?

    Noémie Arnaud – Alors je me suis dit qu’il y en avait, parce qu’il y en avait eu pour le mariage d’une autre fille légitimée de Louis XIV. Donc je me suis dit « bon, si il y a pour ce mariage-là, il doit y avoir pour les miens. En plus, là, c’est quand même le frère du roi, enfin le fils du frère du roi ». Et bah, j’ai pas trouvé, donc c’est extrêmement frustrant en fait de ce dire « si ça se trouve ça existe mais j’ai pas trouvé ». Bon il y a deux solutions, soit ça existait vraiment et ça a été perdu, détruit et on en a plus trace, soit ça a pas été fait du tout.

    Fanny Cohen Moreau – Tu a évoqué le terme hypergamique, ça veut dire quoi ?

    Noémie Arnaud – Un mariage hypergamique, c’est un mariage où l’un des deux conjoints a un rang inférieur à l’autre. Donc c’est exactement là ce qui se passe, dans les deux cas d’ailleurs. Le duc de Chartres est fils du frère du roi. Il épouse une bâtarde qui est forcément inférieure en rang à lui. Et dans le cas du duc du Maine, il épouse une princesse du sang qui est en fait aussi plus élevée en rang que lui. Et donc le duc du Maine, il va, toute sa vie, il va se faire un petit peu humilier par sa femme et elle insiste en fait même dans le contrat de mariage et les négociations pour que le fait qu’elle soit plus élevée en rang que lui soit bien marqué. Elle passait systématiquement devant lui, enfin voilà.

    Fanny Cohen Moreau – Ils avaient quel âge tous ces gens au moment de leurs mariage ?

    Noémie Arnaud – Pour les garçons entre 18 et 20 ans à peu près, et pour les filles c’est un petit peu plus jeune, donc la duchesse du Maine est mariée à 17 ans et il me semble que pour la fille légitimée de Louix XIV, c’est à peu près pareil, 14, 15, 16 ans.

    Fanny Cohen Moreau – Au niveau de l’âge, est-ce que c’est représentatif de l’âge auquel se mariaient les gens à cette époque-là ?

    Noémie Arnaud – Alors représentatif de l’âge auquel se mariaient les gens dans la bonne société ou dans le peuple ?

    Fanny Cohen Moreau – Oui dans la bonne société.

    Noémie Arnaud – Dans la bonne société, relativement, oui. Il y même souvent des cas où, en tout cas dans les mariages diplomatiques, les négociations diplomatiques entre familles régnantes, les enfants sont fiancés à 3, 4, 5 ans.

    Fanny Cohen Moreau – Finalement des mariages à la cours de Versailles, comme ça, ou des mariages d’enfants de Louis XIV, légitimés ou non, ça arrivait souvent ?

    Noémie Arnaud – Pas tant que ça en fait. Sous Louis XIV, après son propre mariage à lui en 1660 avec Marie-Thérèse, il y a eu le mariage, les deux mariages de son frère, donc celui avec Henriette d’Angleterre et la Palatine. Il y a eu le mariage de son fils le Dauphin, le mariage du duc de Chartres, le mariage du duc du Maine, celui de la première fille légitimée, qu’il a légitimée avec une autre de ses favorites. Ensuite, on enchaine sur les mariages de ses petit-enfants, en fait. Donc, des mariages au sein de la famille royale finalement, il n’y en avait pas tant que ça. Ce qui s’explique principalement par le fait que le roi, il a perdu 5 de ses 6 enfants légitimes. Donc Marie-Thérèse, elle a eu 6 enfants avec Louis XIV, elle en a perdu 5. Et à côté de ça, elle voyait la Montespan enchainer les grossesses et ses enfants, ils vivaient.

    [Extrait du film La vie du Roi

    Françoise d’Aubigné : Je crois que Madame de Montespan n’a plus besoin de moi pour ce soir. Puis-je demander à votre majesté la permission de me retirer ?

    Louis XIV : Je vous sais un gré infini pour toutes les choses que vous faites pour mon service, Madame de Maintenon.

    Voix de Madame de Maintenon : Il m’avait nommée Madame de Maintenon. Jamais, en si peu de mots, offrait-on une revanche plus éclatante à une femme humiliée. D’un trait il avait supprimé ce pauvre Scarron et ce passé misérable qui collait à ma peau.]

    Fanny Cohen Moreau – On vient d’entendre un extrait du film La vie du roi, où on voit une représentation du mariage entre Louis XIV et l’une de ses favorites, Madame de Maintenon. Tu penses quoi de cette représentation, c’est un peu fidèle à ce qu’il y avait à l’époque ?

    Noémie Arnaud – Alors, la particularité du mariage de Louis XIV avec Maintenon, c’est que c’est un mariage sans témoin et que c’est un mariage de nuit. En fait, on ne sait même pas vraiment si le mariage a vraiment eu lieu. On se doute que, mais on n’a pas de source d’archive qui prouve qu’ils sont bien mariés. La deuxième chose, c’est après sur le fond, effectivement, oui c’est exactement ça. Il y a bien l’officiant, il y a bien la bénédiction, la messe. Il y a effectivement l’anneau qui est passé au doigt de l’épouse et effectivement, il y a les carreaux où ils sont sur les marches de l’autel. La seule particularité dans ce cas-là, c’est que comme il n’y a pas de témoin, il n’y a pas toute la cour derrière en fait. A priori, oui c’est relativement cohérent.

    Fanny Cohen Moreau – Tu as rendu ton mémoire maintenant il y a quelques mois. Qu’est-ce que tu fais depuis, il me semble que tu prépares l’agrégation et le capes, c’est ça ?

    Noémie Arnaud – Tout à fait, j’ai soutenu donc, en juin 2017, et depuis, je me suis lancée dans la préparation des concours de l’enseignement, donc le capes et l’agrégation d’histoire. J’ai raté à quelques points près le capes l’année dernière, donc je suis repartie pour une seconde année.

    Fanny Cohen Moreau – Et je sais que c’est difficile.

    Noémie Arnaud – Oui.

    Fanny Cohen Moreau – Est-ce que tu veux nous parler un petit peu de ce que c’est de faire ça, parce que vraiment enfin, les auditeurs, peut-être vous savez, mais c’est vraiment quelque chose d’assez dur et je vois sur Twitter, tu en parles souvent. Ça vous met dans des états vraiment très très difficiles de tension, de stress.

    Noémie Arnaud – Oui oui, c’est quelque chose qui est physiquement, psychologiquement, intellectuellement, qui est extrêmement compliqué à vivre surtout comme dans mon cas, où on repart pour une seconde année en ayant raté à quelques points près une admission. Il faut réussir à se remotiver, il faut repartir, ça demande une masse de travail assez considérable, tout le monde le dira, tout le monde le confirmera. Ça demande une masse de connaissances à emmagasiner assez phénoménale. D’ailleurs, en fait, c’est pas possible de tout savoir. Il faudrait tout savoir mais ce n’est pas possible. Ça demande aussi de jouer avec deux disciplines, donc l’histoire et la géographie, parce que même pour l’agrégation d’histoire, on a une épreuve de géographie. Ça demande vraiment énormément de travail, de connaissances. Si vous voulez vous lancer là-dedans, il faut vraiment avoir envie de le faire parce que quand on y est, on a plus envie d’y être.

    Fanny Cohen Moreau – Et est-ce que tu aimerais aussi poursuivre la recherche en Histoire, peut-être faire une thèse ?

    Noémie Arnaud – Oui ! On sent l’enthousiasme et la frustration quand je dis ça. Oui, oui, re-oui. Oui, la recherche me manque. Moi, ça fait deux ans du coup que j’ai arrêté ça. C’est nul, quoi, bachoter un manuel sur un truc qui m’intéresse pas forcément, c’est nul. Je veux retourner faire de la recherche. Je veux aller faire une thèse, je veux… voilà !

    Fanny Cohen Moreau – Est-ce que tu aurais une idée de sujet pour la thèse ?

    Noémie Arnaud – Des idées oui, précises non.

    Fanny Cohen Moreau – Toujours j’imagine sur le contexte de Versailles et tout ça ?

    Noémie Arnaud – Ça, je ne sais pas encore, je pense que je vais rester sur cette thématique du mariage. Après à voir, ça c’est encore à discuter de façon très précise avec un directeur de recherche.

    Fanny Cohen Moreau – Pour finir Noémie, est-ce que tu aurais des conseils, ou en tout cas un conseil, à donner pour les personnes qui aimeraient se lancer dans les études d’Histoire moderne ?

    Noémie Arnaud – Ce que je vais dire, je pense que ça a été déjà dit plusieurs fois dans Passion Médiévistes. Je pense que ça a été déjà dit aussi dans Passion Modernistes. Ça sera redit dans Passion Modernistes et Passion Médiévistes mais le plus important, quand on fait de l’Histoire moderne, c’est d’aimer son sujet. C’est de choisir quelque chose en rapport avec ce qui vous intéresse, parce que vous allez être finalement presque en couple avec ce sujet, soit en couple, soit c’est votre enfant, enfin ça dépend un petit peu. Mais vous allez vivre avec ce sujet un moment et il ne faut surtout pas que ça vous dégoute, en fait. Donc c’est vraiment choisir quelque chose qui vous intéresse, de travailler avec quelqu’un, donc un directeur de recherches ou une directrice de recherches en qui vous avez confiance, avec qui ça se passe bien, avec qui vous vous entendez bien. Et puis, l’histoire moderne, ça a un avantage par rapport à l’histoire antique c’est qu’on n’a pas besoin de maitriser les langues anciennes, donc tout ce qui est grec, latin ou même égyptien ancien, ça c’est, voilà. Je sais qu’en histoire antique et en histoire médiévale, maitriser, en tout cas pour l’histoire médiévale, l’allemand et au moins le latin, et en histoire ancienne d’autant plus, c’est quand même un prérequis quasiment systématique. Et là, ce n’est pas le cas, donc l’histoire moderne c’est bien.

    [Musique]

    Fanny Cohen Moreau – Maintenant chers auditeurs vous en savez un petit peu plus sur comment se passait un mariage à la cour de Louis XIV, donc merci beaucoup Noémie Arnaud et bon courage pour la suite.

    Noémie Arnaud – Merci.

    Fanny Cohen Moreau – Pour en savoir plus, vous pouvez retrouver, pour vous les auditeurs à qui je vous parle là maintenant, vous pouvez retrouver dans la description de cet épisode plus d’informations, donc Noémie vous mettra des petits conseils de titres de livres à retrouver. Et tout ça, c’est à retrouver sur le site passionmedievistes.fr. Si vous voulez soutenir Passion Modernistes et un petit peu Passion Médiévistes, vous pouvez contribuer à notre Tipeee. C’est une campagne de financement participatif, donc vous pouvez donner un ou deux euros ou comme vous voulez. Et donc pour retrouver les actualités de ce podcast, savoir peut-être quels seront les prochains sujets, allez sur Twiter ou sur Facebook. Et à dans un mois pour un nouvel épisode. Salut !

    [Musique – Frank Sinatra – Love and Marriage]

    Merci à Amélie pour la transcription et à Liz pour la relecture !

     

    Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace

    Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace

    Dans ce troisième épisode Johana vous parle de la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIe siècle.

    Passion Modernistes

    Johana Figliuzzi
    Johana Figliuzzi

    Johana Figliuzzi termine en 2019 son master 2 Sciences et société à l’université de Strasbourg. Elle travaille pour son mémoire sur la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIème siècle, sous la direction d’Isabelle Laboulais.

    Avec ses recherches elle veut montrer comment la transformation de l’activité de sage-femme, qui passe d’un service rendu à la communauté à une profession surveillée, s’accompagne d’un contrôle social de la part de l’État, de l’Église et des médecins.

    Elle a choisi l’Alsace pour la proximité des sources et parce que la ville de Strasbourg est la première à ouvrir une école de sages-femmes en France après l’Hôtel-Dieu de Paris. De plus, les sages-femmes y sont nombreuses au XVIIIe siècle en raison de la présence de familles catholiques et protestantes.

    La formation des sage-femmes

    Son mémoire aborde plusieurs points : tout d’abord la construction d’un discours sur les sages-femmes pour justifier la nécessité de les surveiller et de les former. Ensuite, la formation et le recrutement comme moyen de contrôle. Enfin, l’activité concrète des sages-femmes dans la communauté, de leur rôle médical, social et religieux, mais aussi des conflits entre les sages-femmes. Johana cherche à critiquer l’idée selon laquelle la formation des sages-femmes au XVIIIe siècle est le résultat d’une « modernisation » de la médecine et des pratiques, qui s’impose nécessairement face à l’ignorance des sages-femmes des campagnes en particulier.

    Dans cet épisode vous apprendrez notamment que c’est lorsque les hommes médecins ont commencé à accoucher des femmes au XVIIIème siècle que les femmes ont alors accouchées allongées.

    Pour aller plus loin sur le sujet Johana vous conseille la bibliographie suivante :
    Chaise d'accouchement pliable du musée de l'hôpital universitaire de Strasbourg. Fin du XIXe siècle. Utilisé par une sage-femme itinérante
    Chaise d’accouchement pliable du musée de l’hôpital universitaire de Strasbourg. Fin du XIXe siècle. Utilisé par une sage-femme itinérante

    Sur les sages-femmes en Alsace :

    • BOEHLER Jean-Michel, «  »Sages-femmes de nos aïeules, qui êtes-vous donc ? » 22 accoucheuses rurales en Alsace moyenne au XVIIIe siècle », Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-la-Ville, 33, 1999 (une bonne référence sur les sages-femmes des campagnes, avec une riche analyse sur leur professionnalisation).
    • Lefftz Jean-Pierre, L’art des accouchements à Strasbourg et son rayonnement européen de la Renaissance au Siècle des Lumières : un des plus beaux fleurons de la médecine, Editions Contades, Strasbourg, 1985. (pas très objectif mais il explique bien le fonctionnement de l’école d’accouchement de l’hôpital civil).
    • Lichtie Josie, Schneider Malou, Le puits et la cigogne : traditions liées à la naissance dans les familles juives et chrétiennes d’Alsace, Les musées de Strasbourg, Musée alsacien, Strasbourg, 2002. (très bon ouvrage pour comprendre les rites et mentalités liées à la naissance).

    Sur l’accouchement et les sages-femmes :

    • Gélis Jacques, Laget Mireille, Morel Marie-France, Entrer dans la vie : naissances et enfances dans la France traditionnelle, Gallimard, Paris, 1978. (les trois auteurs-rices de référence sur le sujet).
    • Gélis Jacques, L’enquête de 1786 sur les sages-femmes du royaume, Mouton, Paris, 1980. (bonne référence sur la transformation de l’activité de sage-femme).
    • Sage-Pranchère Nathalie, L’ école des sages-femmes: naissance d’un corps professionnel (1786-1917), Presses Universitaires François Rabelais, Tours, 2017. (ouvrage très important, elle décrit le processus de professionnalisation des sages-femmes).
    Histoire du genre et histoire des savoirs :
    • Femme ayant accouché à domicile par Sonnini de Manoncourt dans son ouvrage « Voyage en Grèce et en Turquie… », Paris 1801
      Femme ayant accouché à domicile par Sonnini de Manoncourt dans son ouvrage « Voyage en Grèce et en Turquie… », Paris 1801

      Dorlin Elsa, La matrice de la race: généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, coll.« La Découverte poche », n˚ 312, 2009. (aide à comprendre le rôle de la médecine dans la construction du genre).

    • Ehrenreich Barbara, English Deirdre, Sorcières, sages-femmes et infirmières: une histoirE des femmes et de la médecine, Cambourakis, Paris, 2015. (sur l’appropriation des savoirs médicaux détenus par les femmes).
    • Boumediene Samir, La colonisation du savoir: une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750), Les éditions des Mondes à faire, Vaulx-en-Velin, 2016. (sur les rapports de pouvoir et de savoir dans l’histoire de la médecine. Indispensable pour repenser l’histoire médicale autrement que sous le prisme du progrès).
    • Freidson Eliot, La profession médicale, traduit par Andrée Lyotard-May et traduit par Catherine Malamoud, Payot, Paris, 1984. (sur la professionnalisation de la santé et la para-médicalisation des sages-femmes comme forme de pouvoir exercé par les médecins sur ces dernières).
    Les extraits diffusés dans l’épisode :
    • Reign – Saison 4 épisode 15 (avec l’accouchement de Marie Stuart)
    • Documentaire « Un jour à Cologne en 1629 » par Arte, dans les pas de la sage-femme Anna Stein
    • Anaïs – La plus belle chose au monde
    Transcription de l’épisode 3 (cliquez pour dérouler)

    (Générique)

    Fanny : Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Dans ce podcast, nous vous proposons de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses, en master ou en thèse, qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne est une période qui s’est un peu glissée entre le Moyen-âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre 1500 et 1800. Épisode 3, Johana et les sages-femmes en Alsace, c’est parti !

    Fanny : Bonjour Johana Figliuzzi.

    Johana : Bonjour.

    Fanny : Tu viens de Strasbourg aujourd’hui, où tu termines un Master 2 en Sciences et société à l’université et tu travailles sur la professionnalisation des sages-femmes en Alsace au XVIIIème siècle, sous la direction d’Isabelle Laboulais. Ton sujet est vraiment PASSIONNANT. Je suis très contente de te recevoir. Sur twitter, quand j’ai annoncé le sujet, j’ai eu beaucoup, beaucoup de questions, je remercie encore beaucoup les auditeurs, j’espère qu’on va bien pouvoir y répondre aujourd’hui.

    Alors déjà Johana, première question vraiment toute simple, comment est-ce que tu as choisi ton sujet de mémoire ?

    Johana : il y a plusieurs lectures qui m’ont menée vers ce sujet. La première, c’est Sorcière sage-femmes et infirmières, d’Ehrenreich Barbara et English Deirdre, qui sont deux militantes féministes et qui écrivent sur les femmes soignantes et comment elles sont criminalisées à l’époque moderne et contemporaine. Ça m’a beaucoup plu, c’était un livre historique mais surtout très militant. Mais en tout cas, cela m’a intéressée à l’histoire du genre, d’une part, et au fait qu’il y avait des questions autour de l’histoire du genre dans la médecine.

    J’avais lu La colonisation du savoir, de Samir Boumedienne, qui est un livre vraiment génial. Il explique l’histoire de la colonisation des Indes, donc des Amériques du XVI au XVIIIe siècle, à travers l’histoire des plantes médicinales. Il explique comment les colons se sont appropriés les savoirs médicaux et comment, en même temps qu’ils ont supprimé leurs savoirs, ils se le sont approprié en les reformulant en leur terme. Donc, ils ont réussi à asseoir leur pouvoir de cette manière là. Ça m’a vraiment montré que l’histoire de la médecine n’est pas une histoire du progrès et où les gens étaient tout le temps malades et c’était la galère et là, les médecins les ont tous sauvés. C’est beaucoup plus complexe que ça. Tout cela m’a vraiment mené vers un mélange d’histoire du genre et d’histoire de la médecine.

    Et aussi, en L3, j’ai fait un mémoire d’initiation à la recherche à Strasbourg, toujours en licence humanité, donc qui mêle lettre, langue, philo et histoire. Là, c’était un mélange d’histoire et de philo. Je parlais de la question du travail manuel dans la noblesse, donc là c’était le cas avec la marquise de la Tour du Pin, qui est une noble qui a dû émigrer en Amérique suite à la révolution française. Elle a dû se mettre à travailler une fois arrivée en Amérique, à faire du travail dans les champs, par exemple. Et j’ai montré toute la question du travail, de la discipline, ce genre de choses. En résumé, je me suis intéressée à l’histoire du genre, l’histoire de la médecine, l’histoire du travail et j’ai trouvé que les sages-femmes regroupaient toutes ces problématiques. Et après, j’en ai parlé avec Isabelle Laboulais, ma directrice de recherche, et on a un peu plus précisé le sujet.

    Fanny : Qu’est-ce que tu as voulu montrer dans ton mémoire ?

    Johana : En fait, je montrais comment au XVIIIème siècle en Alsace, l’activité d’accoucheuse, l’activité de sage-femme devient une profession à part entière. Comment cela a évolué dans ce sens-là. J’ai dit “profession” mais c’est plutôt un métier parce que la différence entre une profession et un métier dans la sociologie du travail est que quand on crée une profession, les personnes qui exercent cette profession sont autonomes. C’est eux qui choisissent le recrutement, qui choisissent l’enseignement, ce genre de chose. Alors que là, pour les sages-femmes c’est quelque chose d’extérieur, donc c’est un métier.

    Fanny : On ne peut pas décider seule de devenir sage-femme ?

    Johana : Si, on peut décider seule de devenir sage-femme mais la manière légitime de le devenir, ça ne va pas être quand c’est une sage-femme qui apprend le métier à une autre sage-femme. Ca va être dans les écoles de sage-femme. Je veux montrer comment ce passage d’un service rendu à la communauté à une profession est un moyen de contrôle des sages-femmes et un moyen de délimitation de leur activité. Tout au long du siècle, les sages-femmes ont énormément de pouvoir, une place très importante dans leur communauté : elles ont un rôle médical, judiciaire, religieux qui est très important et avec l’apparition de la profession de sage-femme, avec l’obligation d’avoir un diplôme pour exercer par exemple, cette activité va vraiment se réduire aux gestes médicaux.

    Je montre que c’est un moyen pour les médecins de contrôler les accouchements, mais comme ils ne peuvent pas remplacer toutes les sages-femmes, ce qu’ils vont faire, c’est qu’ils vont passer par les sages-femmes pour exercer leur pouvoir. Les sages-femmes vont donc devenir un intermédiaire entre les médecins et les femmes, entre l’état et les femmes aussi (on le verra avec les règlements). Elles vont avoir un rôle d’assistante au final. Et je veux montrer comment cette profession, c’est pas un signe de progrès, c’est pas un signe non plus qu’elles gagnent en autonomie ou en légitimité. C’est le contraire, elles perdent en autonomie.

    Fanny : C’est bien, tu viens de présenter le menu de cet épisode. (rires) On va juste dire que tu travailles sur le XVIIIè siècle en Alsace. Pourquoi tu as choisi l’Alsace comme terrain d’étude ?

    Johana : Déjà, c’est à cause de la proximité des sources parce que j’étudie à l’université de Strasbourg, donc j’ai accès aux archives départementales, aux archives municipales. Et aussi, c’est parce que, à Strasbourg, il y a la première école d’accouchement d’Europe. Bien sûr, il y a l’Hôtel-Dieu de Paris à partir du XVIIè siècle où on forme les sages-femmes. Mais, comme c’est un lieu où ne sont acceptées que les sages-femmes, il n’y a aucun homme qui a le droit d’y aller, ce n’est pas reconnu comme une école légitime parce qu’il n’y a pas de médecin. Voilà, il y a la première école de sages-femmes d’Europe qui est ouverte en 1728 à l’Hôpital des Bourgeois de Strasbourg, qui est ouverte par Jean Jacques Fried, le premier accoucheur de la ville qui lui s’est formé à l’Hôtel-Dieu de Paris.

    Il y a aussi 1779, l’école d’accouchement pour les sages-femmes de campagne qui est ouverte par l’intendante de la galaizière. Il y a deux écoles d’accouchement à Strasbourg, ce qui est énorme. L’école d’accouchement de l’Hôpital des Bourgeois est très réputée. C’est une école d’accouchement pour les sages-femmes mais elle est aussi ouverte aux médecins et aux chirurgiens. Il y a des médecins et des chirurgiens qui viennent d’Allemagne, qui viennent du Nord de l’Europe, qui vont aller se former là-bas.

    Et aussi, en Alsace, il y a des catholiques et des protestants, il y a énormément de sages-femmes parce que souvent, les sages-femmes catholiques vont faire accoucher des femmes catholiques, les sages-femmes protestantes font accoucher les femmes protestantes, parce que les sages-femmes catholiques ont le droit de baptiser les nouveaux-nés. Mais il va y avoir des lois pour que les sages-femmes protestantes soient obligées d’ondoyer, c’est-à-dire de baptiser. L’ondoiement est le baptême domestique.

    Et aussi, il y a également des spécificités en Alsace liées à l’accouchement : déjà au niveau de la technique, il y a des chaises d’accouchement qui sont utilisées, ce qu’il n’y a pas dans le reste de la France, où la position allongée va commencer à s’imposer au XVIIIè siècle parce que, justement, les médecins commencent à s’intéresser aux accouchements, donc ils vont préférer la position allongée. En Alsace, on a la chaise d’accouchement. C’est une chaise avec un siège creux où on peut s’asseoir au bord. Il y a des poignées, il y a des marches, des étriers pour mettre les pieds. Déjà, il y a cette spécificité. Et l’autre, c’est que les sages-femmes sont élues par les femmes du village. Ça, c’est en Alsace et en Lorraine. Tout ça fait que l’Alsace est une région hyper intéressante pour étudier les sages-femmes.

    Après, je dis l’Alsace mais j’étudie surtout le Bas-Rhin parce que j’ai accès aux archives départementales. Dans le Haut-Rhin, l’école d’accouchement apparaît assez tardivement. Aussi, les sages-femmes du Haut-Rhin sont parfois envoyées à l’école de sages-femmes de Strasbourg, donc j’étudie surtout le Bas-Rhin.

    Fanny : Commençons par le début. Comment devenait-on sage-femme aux XVIIIè siècle en Alsace ?

    Johana : Il y a ces deux écoles qui vont former une minorité de sages-femmes. L’Hôpital des Bourgeois (celui qui est fondé en 1728), il est réservé aux femmes bourgeoises, donc qui ont le droit de bourgeoisie, qui habitent en ville ou dans le bailliage qui dépend de la ville. Ça va former une très petite minorité de sages-femmes qui vont être des sortes de sages-femmes d’élites parce qu’elles vont devoir faire accoucher les femmes de la ville. Donc, on attend d’elles qu’elles aient une expertise beaucoup plus poussée. Aussi, l’école est ouverte aux chirurgiens et aux médecins, donc c’est un enseignement qui est très spécialisé, qui va s’appuyer déjà sur la théorie, où Fried va lire des traités d’accouchement et il va les critiquer, les comparer avec son expérience.

    L’école d’accouchement de Fried est connue parce qu’elle utilise des cas cliniques. C’est-à-dire qu’on va directement au chevet des femmes accouchées pour les examiner, pour voir les cas pratiques. Et tout ça, je pense qu’il l’a appris à l’Hôtel-Dieu auprès des sages-femmes parce qu’elles font en grande partie par la tradition orale, par la pratique, par le toucher. Fried donne une très grande importance à ça alors que les autres médecins accoucheurs et les chirurgiens d’époque vont appuyer sur l’outil.

    Donc, il y a cette école de sages-femmes, on va dire un peu d’élite. Après, il y a l’école ouverte en 1779 pour les sages-femmes de campagne. Donc là, chaque village va envoyer soit sa sage-femme soit une femme qui veut se former au métier de sage-femme ou qui ne veut pas. Je pourrais parler d’une sage-femme, Marie-Sapience Caquelin, qui est choisie par les femmes du village et qui dans son carnet dit que c’est la castastrophe, elle a trop peur d’aller en ville, d’aller se former, mais c’est un devoir donc elle doit aller le remplir. Il y a cette école de sages-femmes qui, elle, s’appuie [non pas] sur la théorie et la pratique mais sur des mannequins d’accouchements, des sortes de poupées en tissu qui reproduisent l’anatomie féminine. Il y a aussi des mannequins qui reproduisent des fétus à tel ou tel mois, des nouveaux-nés, des bébés mal formés, des jumeaux.

    Il y a une sage-femme qui est très connue pour les mannequins d’accouchement, c’est Marie Angélique du Coudray, qui fait le tour de France pour apprendre le métier de sage-femme aux sages-femmes des campagnes. Par contre, elle ne passe pas en Alsace (donc j’en parle pas trop dans mon mémoire) parce qu’il y a déjà l’école de sages-femmes qui est très réputée et ensuite parce qu’il y a la barrière de la langue. La plupart des sages-femmes parlent allemand.

    Fanny : Mais alors que l’Alsace est censée être française à cette époque-là ?

    Johana : Oui. L’Alsace est française à cette époque-là mais il y a toujours un bilinguisme dans les sources. Souvent, dans la campagne, on parle plus allemand. Donc il y a ces deux écoles de sages-femmes, mais qui vont former une minorité de sages-femmes.

    La plupart des sages-femmes vont fonctionner par compagnonnage. C’est-à-dire qu’elles vont se former auprès d’une sage-femme jurée. C’est une sage-femme qui a prêté serment auprès d’un curé, qui a promis de soigner, de soutenir les femmes du village quel que soit leur milieu ou leur état et aussi, elle jure d’avoir un bon comportement et de bonnes moeurs. À partir de ça, elles sont reconnues, elles peuvent faire les baptêmes, dont j’ai parlé avant, les ondoiements. Ça leur donne un statut vraiment important. Donc elles se forment auprès de sages-femmes jurées ou ou de sages-femmes réputées, ou de la sage-femme de leur village, mais aussi auprès de leurs mères, si elles sont sages-femmes. Mais la transmission la plus courante encore au XVIIIe siècle, c’est le compagnonnage. Mais on voit qu’au cours du siècle, ça devient obligatoire de passer par les écoles d’accouchement, parce que le diplôme devient obligatoire.

    Fanny : Est-ce que leur travail se résumait seulement aux accouchements ou est-ce qu’il était plus général ? Peut-être est-ce qu’elles accompagnaient les femmes enceintes ? Est-ce qu’elles donnaient des conseils avant l’accouchement ?

    Johana : L’activité de sage-femme regroupe déjà beaucoup de choses : déjà, il y a un aspect médical où on va faire des soins gynécologiques. Les sages-femmes vont aussi devoir faire des soins courants comme par exemple, à la fin du XVIIIè siècle, on a l’exemple d’une sage-femme qui pose les ampoules. C’est des sortes de ventouses en verre qui servent à soigner à l’époque et ça, c’est un soin courant qui n’a rien à voir avec les femmes enceintes. Elles font aussi de la gymnastique prénatale au huitième mois pour aider les femmes à se préparer à l’accouchement, donc elles aident à accoucher les femmes évidemment. Elles s’occupent des soins du nouveau-né, des soins de la femme qui vient d’accoucher. Donc, ça c’est toute la partie médicale.

    Après, il y a la partie religieuse, le soin à cette époque-là ne se résume pas à un geste médical. C’est avec la professionnalisation et l’arrivée des médecins que ça va se limiter juste au geste médical. On va montrer comme dangereux tout ce qui entoure l’accompagnement des femmes et l’aide aux femmes enceintes. Par exemple, les sages-femmes vont réciter des psaumes. Il y a aussi des rites religieux qui accompagnent l’accouchement. Par exemple, chez les catholiques, il y a des médaillons et des images qu’on va mettre près du lit. Pour rassurer la femme enceinte, on a des médaillons de Saint Anne et de Sainte Odile. Chez les juives, on utilise des amullettes et des psaumes, pareil, pour accompagner la femme enceinte et aussi pour éloigner Lilith, la première femme d’Adam et qu’on soupçonnerait de vouloir piquer le nouveau-né. Elles ont déjà ce rôle religieux-là. Et aussi, comme je l’ai dit, elles font l’ondoiement, le baptême domestique. Souvent, c’est en cas de danger, si la vie du nouveau-né est en danger. Elles vont faire un baptême d’urgence pour pas qu’il reste dans les limbes, entre le paradis et l’enfer.

    Fanny : Mais il y a quand même un vrai baptême ensuite qui est fait par le curé ou ça suffit, celui-là ?

    Johana : En principe, il y a un vrai baptême qui est fait par le curé, mais on voit dans les sources que les curés se plaignent parce que les gens se contentent de l’ondoiement. Ça leur suffit et du coup, ils ne vont plus à l’église baptiser leur enfant. Ils disent « Bon ça suffit maintenant, vous venez à l’église, vous venez baptiser votre enfant ».

    Ça, c’est la partie religieuse, et il y a aussi une partie judiciaire qui est très importante et, au XVIIIè siècle, qui perd en importance parce que ce sont les médecins qui vont se réapproprier cette facette du métier. Déjà, elles dénoncent “les fausses couches” pour dire si c’est un avortement ou si c’est une cause naturelle.

    Fanny : Là, on a du contrôle du corps des femmes par les femmes elles-mêmes, par les sage-femmes.

    Johana : C’est ça. Je veux montrer que ce contrôle c’est parce que les sages-femmes deviennent l’intermédiaire entre l’État et les femmes, et c’est aussi comme ça qu’elles se font respecter. C’est quand elles exercent un contrôle sur les autres femmes, on les voit comme des sages-femmes légitimes, des sages-femmes de confiance alors que quand elles restent dans les réseaux de solidarités entre femmes, elles vont être montrées comme dangereuses.

    Fanny : Montrées par qui ?

    Johana : Par l’administration déjà, par les préfets, par les intendants et aussi par les médecins. Ils vont souvent dire que la pratique des sages-femmes est mauvaise, qu’elles mettent en danger les femmes. Mais en réalité, on voit dans les sources que la communauté fait vraiment confiance à leurs sages-femmes. On voit qu’elles ont une réelle expertise mais les médecins vont dénoncer les sages-femmes des campagnes parce que c’est elles qui sont les plus éloignées des lieux de pouvoir, donc c’est elles qu’on peut le moins surveiller. Pour ce côté judiciaire, elles déclarent les morts en couche, elles vont aussi vérifier le corps des femmes qui ont été victimes de viol pour les procès. Elles vont vérifier si elles ont été blessées. Cette inspection du corps pour les procès, cela va être les chirurgiens qui vont la faire plutôt au XVIIIè siècle. Ils vont commencer à le faire surtout dans les villes.

    Fanny : Est-ce qu’il y a des lieux où les sages-femmes accouchent les femmes ou est-ce qu’elles vont directement chez les patientes ?

    Johana : L’accouchement se fait à domicile. C’est la sage-femme qui se déplace. Elle se déplace souvent avec sa chaise d’accouchement. Dans les villages, il y a toute une procession qui est faite avec quelqu’un qui porte la chaise d’accouchement.

    Fanny : Quand quelqu’un accouche c’est pas discret, tout le monde est au courant. (Rires)

    Johana : Déjà, à domicile dans les villages, dans les salles d’accouchement, il y a la moitié des femmes du village, ce n’est pas quelque chose qui se fait seule. Mais tout au long du XVIIIe siècle, on essaie de réduire ça au juste minimum médical. Il y aura de moins en moins de monde dans la salle d’accouchement et il y aura de plus en plus souvent des médecins. Donc, ça se fait à domicile. En ville aussi, ça se fait souvent à domicile. L’accouchement à l’hôpital existe aussi mais il n’est pas du tout aussi courant qu’aujourd’hui, c’est plutôt pour les femmes pauvres.

    Fanny : Tu as commencé un petit peu à le dire mais les sages-femmes que tu étudiais, elles accouchent les femmes de leur classe sociale? Il y a vraiment une distinction ?

    Johana : Pas nécessairement. On va plus former les sages-femmes des villes parce qu’on attend d’elles qu’elles accouchent parfois des personnages importants. Par exemple, on a la sage-femme Marie Elisabeth Kautz qui est l’accoucheuse attitrée de la famille Dietrich. Le Baron Frédéric-Philippe de Dietrich, qui était maire entre 1790 et 1792, maire de Strasbourg, donc c’est la famille du maire de Strasbourg, donc une famille très haut placée. On va plus former les sages-femmes des villes parce qu’on attend qu’elles accouchent des femmes importantes.

    Les femmes ne vont pas forcément les payer pour l’accouchement, c’est en fonction de leurs revenus mais elles ont une exemption de corvée. Les sages-femmes reçoivent une petite rémunération de la part soit de la communauté soit de la ville sous forme d’argent, de fagots de bois. Par exemple, les sages-femmes des villes ne vont pas chercher qu’à aider les femmes nobles ou les femmes bourgeoises à accoucher parce que la rémunération ne les intéresse pas, parce qu’elles ont déjà une rémunération fixe.

    Elles vont faire accoucher tout le monde et c’est dans leur serment aussi : elles doivent promettre de venir en aide à toutes les femmes quel que soit leur milieu, quel que soit leur état. Elles vont aussi aider à accoucher les femmes pauvres et les femmes étrangères à condition toujours qu’elles les surveillent. Par exemple, les femmes étrangères, si elles les font accoucher, il faut qu’elles les dénoncent auprès des autorités pour dire : « voilà cette femme n’a pas le droit d’être dans cette ville ». Pareil pour les femmes pauvres ou les femmes célibataires, il faut qu’elles dénoncent les accouchements dits illégitimes, qui ne viennent pas d’une femme mariée.

    Fanny : Est-ce qu’à cette époque, l’accouchement reste dangereux pour la mère et l’enfant ? Parce qu’à la même époque, vraiment, on a vu le cas de la reine d’Angleterre Anne Stuart, qu’on voit récemment dans le film la Favorite, qui a eu 18 enfants, dont aucun n’est arrivé à l’âge adulte (moi ça me crève le cœur cette histoire). Est-ce que le cas d’Anne Stuart est vraiment à part et est-ce qu’on a des chiffres de la mortalité infantile en Alsace à cette époque-là ?

    Johana : Son cas est vraiment à part. C’est courant qu’un enfant meurt en couche, mais 18 enfants, c’est quand même un grand nombre. L’accouchement reste dangereux à cette époque. C’est pour ça que les sages-femmes ont un rôle religieux aussi important, parce que c’est une étape très importante de la vie où on est entre la vie et la mort. Il peut y avoir une naissance, en même temps il peut y avoir une mort. Il peut y avoir plusieurs morts, la mère et l’enfant. Donc l’accouchement est craint, c’est un moment où les femmes ont très peur de ce qui va se passer. C’est ça qui donne toute l’autorité aux sages-femmes aussi. C’est aux premiers mois que les enfants sont les plus fragiles. Après, il y a quand même une baisse de la mortalité infantile au XVIIIè siècle grâce aux progrès qui ont été faits, notamment pour les conditions d’hygiène.

    ***Extrait de Reign, Saison 4, Épisode 15***

    Fanny : Tu nous as parlé tout à l’heure de carnets de sage-femme, donc on a des témoignages directs de ces femmes ?

    Johana : C’est assez rare. Là, j’ai parlé du carnet de Marie-Sapience Caquelin, qui commence à être sage-femme en 1784 au Ban de la Roche dans le nord de l’Alsace. Elle a fait un carnet où elle raconte rapidement comment elle a été choisie pour être sage-femme du village. Donc les femmes ont voté pour elle. Elle était terrifiée d’aller en ville (elle raconte ça, c’est super touchant de lire ça). En fait, ce carnet est plutôt un outil de travail, ça lui sert à détailler les naissances, les naissances d’enfants illégitimes. Elle parle rapidement du cours d’accouchement, mais très peu. En fait, il n’y a pas de détail de sa pratique parce qu’encore à l’époque, l’activité de sage-femme se passe avant tout par l’oral et par la pratique.Tout ce qui est écrit, cela va plutôt être les médecins.

    Bien sûr, il y a des traités de sages-femmes qui ont été faits, il y a aussi le journal de la sage-femme Marie-Elisabeth Kautz, mais c’est plus un journal religieux. Elle parle très très peu de ça. Les sources sont très souvent indirectes, on parle beaucoup des sages-femmes, on les entend très peu parler. Quand on les entend, c’est dans le cadre de procès, par exemple, où elles vont dire quand elles ont inspecté tel corps. On comprend leur rôle par bribes, il n’y a pas de mémoire spécifique de sage-femme.

    Après, il y a des livres écrits, qui le sont par des sages-femmes, des traités sur les accouchements, mais qui sont écrits par des sages-femmes bourgeoises qui rendent compte de la tradition orale des sages-femmes mais qui surtout veulent se faire reconnaître des autres médecins. Elles vont plutôt faire appel à la tradition antique, à la tradition de la médecine antique pour s’imposer, pour montrer leur légitimité dans le milieu médical. Je pense, par exemple, au traité de Justina Sigmund, qui est une sage-femme allemande qui va écrire un traité d’accouchement qui est très important où elle va faire elle-même des illustrations, elle va montrer des techniques pour retourner l’enfant dans le ventre quand il est mal placé. Enfin, vraiment un traité très avancé. Mais quand ces techniques viennent de la tradition orale des sages-femmes, elle va dire que c’est son savoir à elle alors qu’on devine aisément que c’est quelque chose qui se fait couramment grâce aux autres sources, et elle va beaucoup utiliser des ouvrages des anciens.

    Fanny : Est-ce qu’on sait combien il y avait de sages-femmes à cette époque-là ? Ou c’est pas possible de le savoir ? Ne serait-ce qu’à travers les écoles, on a peut-être des chiffres à travers les écoles ?

    Johana : Il y a plusieurs façons de savoir le nombre de sages-femmes. Déjà, il y a une enquête de 1786, où on va recenser toutes les sages-femmes de tous les villages, de tous les cantons. Et donc là, il y a le nom de la sage-femme chez qui elle a appris l’art des accouchements etc. Dans ces dossiers où il y a des registres des sages-femmes, il y a aussi des lettres de plaintes où les administrateurs disent : « il n’y a pas tout le monde qui s’est présenté, il y a untel qui n’a pas voulu me dire qui était la sage-femme du village ». Donc on voit aussi leur importance, parce que parfois, quand il y a des sages-femmes qui n’ont pas de diplôme, qui n’ont pas passé l’examen mais qui sont connues par les gens du village, elles ne vont pas être dénoncées par le curé, par exemple. Il y a des manières de savoir, il y a aussi les registres qui disent toutes les femmes qui sont passées par l’école d’accouchement, mais bien sûr ça se recoupe avec les registres des sages-femmes.

    J’ai pas les chiffres sur moi, je les ai pas notés, mais il y a au moins une sage-femme par village, ce qui est très rare parce que dans toutes les autres régions de France, il n’y a pas de sages-femmes dans tous les villages. La densité est beaucoup plus faible. Enfin, il y en a plus d’une centaine en Alsace, il y en a énormément.

    Fanny : Est-ce qu’il y a un profil-type des sages-femmes au XVIIIe siècle ? Par leur âge ou par leur origine ?

    Johana : Non, il y en a pas. C’est très varié. Au XVIIIe siècle, il y a une concurrence entre le modèle communautaire de soin et le modèle imposé par l’État. Dans le modèle communautaire de soin, la sage-femme qu’on va choisir est plutôt une femme mariée qui a déjà eu des enfants, qui a de l’expérience, qui est parfois âgée, qui est veuve et qu’on connait bien. Ça, c’est le profil-type de la sage-femme dans les villages qu’on va élire.

    Mais avec l’apparition de la professionnalisation des sages-femmes, les médecins, ce qu’ils préfèrent, c’est des femmes jeunes qui ont des enfants ou pas, mais qui ont la vingtaine, la trentaine et qui n’ont pas beaucoup d’expérience dans l’art des accouchements, pour qu’elles puissent entièrement être formées par les médecins. Ces 2 modèles sont en concurrence au cours du XVIII siècle. Le plus courant, ce sont quand même des femmes qui ont la trentaine, la quarantaine, qui ont des enfants. Disons que leur point commun le plus important est qu’elles sont mariées et qu’elles ont des enfants. On va préférer choisir des femmes mariées parce qu’on va penser qu’elles ont des bonnes mœurs.

    Fanny : D’ailleurs, il n’y a que des femmes qui sont sages-femmes à cette époque-là ?

    Johana : Oui, il y a surtout des femmes qui sont sages-femmes. Au XVIIIe siècle, il apparaît les médecins accoucheurs et les chirurgiens aussi. Surtout les chirurgiens qui vont intervenir dans des situations complexes. Par exemple, s’il faut une césarienne ou si la vie de la femme est en danger. Donc ils vont intervenir à des moments qui sont très délicats, qui nécessitent l’utilisation d’outils parce que les sages-femmes, depuis 1728 en Alsace, elles n’ont pas le droit d’utiliser des outils. Ils vont avoir une vision catastrophiste de l’accouchement, c’est aussi pour ça qu’ils critiquent beaucoup les sages-femmes puisqu’ils les voient que dans des situations qui sont très complexes, ils ne voient pas trop les accouchements au quotidien.

    Tout au long du XVIIIè siècle, les hommes vont s’imposer dans les salles d’accouchement. Ça reste quand même assez tabou tout au long du siècle, mais ça se normalise peu à peu. Disons que les médecins ne vont plus intervenir qu’en cas d’urgence, mais ils vont de plus en plus intervenir, par exemple, auprès des femmes nobles. Je pense, à la fin du XVIIè siècle, sous Louis XIV, il y a Madame de la Valière qui va être accouchée par un médecin accoucheur et c’est elle qui va lancer cette mode. Donc voilà, ça se normalise de plus en plus. La norme reste quand même des femmes qui accouchent d’autres femmes, des sages-femmes qui accouchent des femmes, mais ça ne va plus être aussi tabou qu’il y ait des hommes en salle d’accouchement et c’est un signe d’un certain prestige aussi.

    Fanny : Tu l’as évoqué, tu travailles sur plein de sources différentes. Est-ce que tu peux un peu justement nous résumer toutes ces sources et avec quelle méthode tu travailles dessus ?

    Johana : Je vais aux archives municipales et départementales. Il faut savoir qu’en histoire du genre, c’est compliqué parce qu’il n’y a pas une catégorie de sources précise qu’on va éplucher en entier. Il faut trouver des indices par ci, par là. Ça ressemble vachement à une enquête. Ça m’a beaucoup passionnée parce que j’ai l’impression de faire une enquête quand je travaille sur les sages-femmes, quand j’étais aux archives. Il faut que je trouve des traces de sages-femmes un peu partout. J’ai les dossiers de la police médicale, les registres de sages-femmes, les archives du conseil municipal aussi, où ils prennent des décisions sur les écoles d’accouchement. J’ai les procès évidemment, les correspondances. J’ai des enquêtes sur les sages-femmes, les registres de baptêmes. Enfin voilà. Il y a des indices un petit peu partout.

    J’utilise plusieurs méthodes ; déjà, l’histoire des savoirs, où je m’appuie beaucoup sur ce qu’a fait Samir Boumediene pour aborder l’histoire du savoir médical, non pas sous l’angle du progrès, mais sous l’angle des rapports de pouvoir. J’utilise aussi beaucoup l’histoire sociale et la sociologie pour voir l’émergence de la profession et aussi pour voir les questions de classe au sein des sages-femmes, parce que le discours sur les sages-femmes des villes n’est pas du tout le même que sur les sages-femmes des campagnes. Elles sont beaucoup plus respectées dans les villes. C’est les sages-femmes des campagnes qui sont dangereuses vu qu’elles sont éloignées des lieux de pouvoir.

    J’utilise aussi l’histoire du genre. Ce qui a été fait beaucoup dans l’histoire des sages-femmes, c’est qu’on a pris au 1er degré le discours sur les sages-femmes où on dit qu’elles sont dangereuses, et ma théorie est que, bien sûr, les accouchements sont dangereux à l’époque. Il y a beaucoup de mortalité, les sages-femmes ne connaissent pas forcément toutes les techniques d’hygiène mais elles sont très respectées par leur communauté. Souvent, les accouchements se passent bien.

    En fait, tous ce discours sur les sages-femmes, il faut l’analyser, il faut le comparer avec d’autres discours sur les sages-femmes qui sont vraiment au niveau local, où on va parler de la sage-femme du village, parce que tous ces discours qui vont critiquer les sages-femmes, c’est souvent une volonté de justifier les projets d’éducation des sages-femmes de la part des médecins qui veulent opérer la paramédicalisation de l’activité de sage-femme. C’est une manière de dire « voilà elles sont dangereuses, il y a beaucoup de mortalité, elles ne font pas appel aux médecins quand il y a besoin de faire une césarienne, elles font n’importe quoi. Du coup, je suis là, je vais les éduquer, je vais contrôler ce qu’elles font. » Donc ils se présentent un peu comme des sauveurs, comme la solution mais c’est pour justifier leur travail et aussi pour avoir, par exemple, des financements pour une école d’accouchement.

    Il y a l’historienne Nathalie Sage-Pranchère qui a écrit L’école des sages-femmes qui, elle, étudie aussi la professionnalisation des sages-femmes à l’échelle nationale. Et elle explique que tous les discours sur les sages-femmes prennent la forme de presque formulaire parce qu’ils se ressemblent tous. Il y a beaucoup de répétitions et on voit que c’est quelque chose qui devient un espèce de tic de langage des médecins aux administrateurs où on va toujours dire « voilà, les sages-femmes c’est pas bien, c’est dangereux » pour après introduire tous les projets d’éducation des sages-femmes.

    Fanny: Est ce que tu as pu t’intéresser en parallèle aux pratiques des sages-femmes dans d’autres régions de France ou en Europe pour comparer un petit peu ?

    Johana: Grâce à l’ouvrage de Nathalie Sage-Pranchère, j’ai pu voir comment ça se passe à l’échelle nationale. Il y a ce même processus de professionnalisation des sages-femmes d’une part et aussi d’homogénéisation donc on va faire des lois à l’échelle nationale.

    Mon mémoire s’arrête le 18 Ventôse de l’an 11, en gros en mars 1803, parce que c’est à cette date qu’est rendue obligatoire l’obtention d’un diplôme pour exercer le métier de sage-femme. Il y a ce mouvement d’homogénéisation des lois sur les sages-femmes, parce qu’avant ça, c’est chaque région, chaque village qui a son règlement sur les sages-femmes et là, avec la révolution française, il y a cette centralisation, déjà, qui se met en place, [la] centralisation du pouvoir, et on veut vraiment que les coutumes et les lois soient les mêmes partout dans le territoire parce qu’on commence à construire une nation française, un état.

    Le sujet, il a l’air spécifique. Je parle des sages-femmes mais en réalité, le rôle des sages-femmes et comment il évolue, ça reflète aussi comment s’impose l’État dans la vie quotidienne des sujets, des habitants, des citoyens plus tard parce que la sage-femme n’est plus seulement la membre de la communauté, le personnage important d’une communauté mais c’est vraiment l’intermédiaire entre les femmes et l’État. Elles vont perdre en autonomie et en autorité dans leur village pour retirer l’autonomie des autres femmes en appliquant très strictement les lois qui sont promulguées par l’État.

    Il y a toujours une méfiance. C’est assez ambivalent chez les sages-femmes parce qu’il y a toujours cette méfiance, on les voit comme dangereuses mais on a besoin d’elles pour contrôler les autres femmes, pour contrôler les mœurs, pour réguler les naissances, qu’elles ne soient pas illégitimes. J’ai pu comparer aussi avec l’Allemagne. Là, on a aussi tout ce processus de paramédicalisation de la part des médecins parce qu’en Allemagne, il y a plusieurs écoles d’accouchement qui vont être fondées sur le modèle de l’école de Strasbourg, donc l’école de Fried. Donc là, il y a plus ce côté appropriation du savoir médical par les médecins qui va se développer en Allemagne. La question de la centralisation, c’est un contexte différent dans ce pays.

    ***Extrait du documentaire « Un jour à Cologne en 1629 » (Arte)***

    Fanny : Johana, tu es donc en 2ème année de Master, quels sont les problèmes que tu as pu rencontrer pendant ces deux années de préparation de mémoire ?

    Johana : Au début, j’ai eu beaucoup de mal à trouver les sources parce que je ne voyais pas ce qu’il y avait spécifiquement sur les sages-femmes et je ne savais pas qu’il fallait piocher des indices par-ci par-là. Donc ça, c’est la méthode d’histoire du genre souvent. Aussi il y a beaucoup de sources qui sont en allemand, donc c’est pas un gros problème. Le plus gros problème, c’est que c’est écrit en “deutsche schrift”, une écriture manuscrite allemande qui ne ressemble pas trop à l’alphabet latin et qui est très dure à apprendre. Donc, j’ai demandé de l’aide pour la traduction et souvent, quand j’en vois des comme ça, j’abandonne, en fait.

    Du coup, ça me prive d’énormément de sources, c’est très frustrant mais il y a beaucoup de livres d’histoire d’Alsace [qui] traduisent ces sources-là, c’est super utile. Voilà, je suis privée de pas mal de sources car c’est vraiment, vraiment très dur à déchiffrer et si c’était une thèse, je me serai donnée la peine mais là, disons que si l’intitulé est vraiment hyper intéressant, je vais me pencher dessus, je vais déchiffrer, je vais demander de l’aide, mais si c’est une source dont j’ai 3 exemples différents en français je ne vais pas l’utiliser.

    À la base, j’étais un peu partie sur une fausse piste. Je pensais trop que les sages-femmes étaient entièrement criminalisées, ce qui n’est pas vrai du tout. Elles ont un statut très important, comme je l’ai dit. J’essayais de trouver des indices dans quelles mesures elles sont considérées comme des sorcières, par exemple. C’est très rarement le cas pour des sages-femmes en Alsace. Et j’étais aussi partie sur la piste de l’histoire des savoirs, donc comment le savoir des sages-femmes est différent de celui des médecins. C’est hyper compliqué parce que le savoir des sages-femmes est oral et pratique, donc j’ai pas vraiment de quoi comparer. C’est pour ça que je me suis plus penchée sur la professionnalisation.

    L’autre difficulté est que c’est assez dur de se mettre à la rédaction.

    Fanny : D’avoir le nez plongé dans les archives à plonger sur son écran d’ordinateur.

    Johana : Oui, on veut parler de tout en même temps et il y a tellement de choses à dire, il faut sélectionner. Enfin, c’est assez dur mais c’est passionnant parce qu’on met vraiment en forme la pensée et on sent qu’on avance mais c’est un peu dur de se mettre à la rédaction. Mais j’ai trouvé une méthode et une fois qu’on s’y met, c’est bien.

    Fanny : C’est quoi ta méthode ?

    Johana : Alors ma méthode : déjà j’aime bien être claire, carrée. Déjà, j’ai mon plan qui est prêt avant toute rédaction, bien sûr, avec une problématique et je me demande dans chaque partie ce que je veux dire. C’est quoi ma problématique ? Après, pour chaque sous-partie, par exemple “1.a”, je vais faire un plan de cette sous-partie, je vais dire plus ou moins « voilà je vais parler ça, ça et ça » et après, pour chaque partie, je vais voir toutes les sources que j’ai là-dessus et je pars de ces sources pour commencer à écrire, parce que je pense que mon défaut, si je ne fais pas ça, c’est que j’interprète trop. Je vais un peu trop loin parce que j’ai envie de dire beaucoup de choses et parfois je fais peut-être un peu trop parler les sources. Du coup, je veux vraiment partir des sources, partir du concret, pas interpréter n’importe comment, et après je complète avec la bibliographie pour mettre des éléments que je n’ai pas, pour expliquer des notions, pour développer sur le sujet.

    Mais je fais un premier brouillon, je cite des sources, je dis « voilà il se passe ça, ça et ça. » Je mets mes idées, sans citer la bibliographie, et après je me relis, je développe parce que parfois je vais un peu trop vite, j’explique vraiment ce que je veux dire, comment je suis arrivée à cette conclusion. Je cite les ouvrages qui m’ont aidée à arriver à cette conclusion. Ça se fait en 2 temps, j’ai d’abord cette première étape d’écriture qui est un peu plus créative, où il y a les idées qui viennent, je commence à interpréter et après, vraiment sérieux, carré, je dis de quel auteur je sais ça. Je me justifie, j’écris bien, pour que ce soit accessible à tout le monde.

    Parce que j’essaie vraiment d’écrire un mémoire qui puisse être lu, même par des gens qui ne sont pas spécialisés en histoire, parce que je trouve ça vraiment important, déjà en histoire du genre, de faire connaître un peu les travaux, et surtout que ce ne soit pas quelque chose de fermé, d’élitiste où c’est que les spécialistes qui peuvent le lire. Parce que je veux vraiment faire une histoire populaire des sages-femmes, je ne veux pas que parler des sages-femmes qui ont fait des trucs incroyables. Je ne m’arrête pas aux sages-femmes bourgeoises, je veux parler aussi des sages-femmes des campagnes, donc ça n’aurait pas de sens d’écrire un mémoire qui ne soit pas accessible à tout le monde, qui ne puisse pas être lu par tout le monde. Quand on écrit pour que ça soit accessible, ça pousse vraiment à justifier tout ce que l’on dit et à ne pas partir dans des interprétations qui ne s’appuient pas sur des faits. Je veux vraiment faire un mémoire qui soit clair et compréhensible par tout le monde, pour tout le monde. Et aussi, ça m’aide parce que je le fais relire par mes amis pour qu’ils m’aident à le corriger, donc j’ai envie qu’ils comprennent ce qu’ils lisent.

    Fanny : Johana, est-ce que tu as commencé à réfléchir à ce que tu veux faire une fois que tu auras rendu ton mémoire, donc dans quelques mois à l’heure où on enregistre ce podcast ?

    Johana : Oui, la recherche m’intéresse beaucoup mais je ne veux pas en faire mon métier. Je veux juste être bibliothécaire. Donc je vais faire un apprentissage pour être bibliothécaire et passer les concours. J’ai trouvé ça important de faire de la recherche parce que comme l’a dit Jacky Fleming, une autrice de BD dans sa BD Le Problème avec les femmes, elle a dit « les femmes se sortent les unes des autres de la poubelle de l’histoire depuis plusieurs milliers d’années maintenant, » et moi, je voulais faire un mémoire pour sortir les sages-femmes de la poubelle de l’histoire mais je ne vais pas faire plus de recherche que ça.

    Fanny : Pour finir Johana, est-ce que tu aurais un conseil à donner aux personnes qui voudraient étudier l’histoire des femmes à l’époque moderne ?

    Johana : Ce qui est très important dans les sources, quand on voit des discours qui sont faits sur les femmes, pas par les femmes, c’est de ne pas les prendre au premier degré. Il faut toujours analyser pourquoi la personne dit ça. Bon ça, c’est comme pour toutes les sources, mais c’est d’autant plus important qu’il ne faut pas se dire « si untel dit que telle ou telle femme » ou « telle ou telle catégorie de femme est dangereuse, » il faut se demander pourquoi elle dit ça.

    Il faut chercher un peu partout dans les archives, même s’il y a des archives qui ne vont pas parler directement du sujet, qui ne vont pas parler directement des femmes. Il faut apprendre un peu à fouiller, à mener l’enquête un peu partout. Il faut aussi essayer de ne pas avoir trop d’a priori. Il ne faut pas partir, comme par exemple j’avais fait au début, du principe que les sages-femmes à l’époque moderne ne peuvent rien faire, qu’elles n’ont pas d’autonomie. Il faut chercher aussi ce que font concrètement les femmes, il faut essayer de trouver des traces de leur activité concrète et pas seulement le discours sur ce qu’elles font. C’est pour ça aussi qu’il faut fouiller un peu partout. Je parle beaucoup des procès parce que c’est souvent à ce moment-là que les femmes témoignent et donc, on peut voir à travers tout leur discours sur le procès ce qu’elles disent de ce qu’elles font elles-mêmes.

    Ce qu’elle fait beaucoup, ma directrice de mémoire, c’est qu’elle me mène vers des ouvrages qui n’ont aucun rapport avec mon sujet mais qui appuient sur des aspects spécifiques. Je trouve que c’est toujours important de savoir comment ça se passe à l’époque, comment les gens vivent, comment se font les autres métiers, si tu fais l’histoire d’un métier, et ne pas rester bloquée que dans son sujet. Aussi, ça je l’ai beaucoup appris parce que j’étais en licence humanité, mais il ne faut pas s’arrêter qu’à des ouvrages d’histoire aussi. C’est important de voir tout ce qui est de la sociologie, la philosophie, rien que pour apprendre à interpréter les sources et pour voir de quelle pensée découle telle ou telle action d’un personnage historique. Il ne faut pas rester bloquée que sur l’histoire. C’est important.

    Fanny : Maintenant, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur qui étaient et comment travaillaient les sages-femmes en Alsace au XVIIIè siècle. Donc merci beaucoup Johana.

    Johana : Merci à toi.

    Fanny : C’était seulement le troisième épisode de Passion Modernistes. Le deuxième était sur l’art de la bière à l’époque moderne. Le premier était sur un certain Gaston d’Orléans, donc vous avez encore plein de choses à apprendre. Et si l’histoire vous intéresse, vous pouvez bien sûr aller écouter les épisodes de l’autre podcast Passion Médiévistes qui parle, là, du Moyen Âge. Et vous pouvez retrouver tous ces épisodes sur le site passion-médiévistes.fr et dans le prochain épisode, on parlera des guerres de religion. Salut !

    ***Chanson d’Anaïs, La Plus belle chose au monde***

    Merci à Maëlys pour la retranscription et à Élise pour la relecture !

    Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir). Un grand merci à Simon qui a aidé au montage de cet épisode, vous pouvez le retrouver dans le podcast Les Carencés !

     

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